Départ à la retraite de MM Étienne Calomne, T.S., syndic adjoint et Marcel Bonneau, T.S., syndic de l’Ordre…

«Syndic, enquêteur, plaignant, oui, mais T.S. d’abord et avant tout!»

Par | Publié le | dans la catégorie Chroniques du syndic

Le premier avril prochain, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec fermera un important chapitre de son histoire, alors que MM Étienne Calomne, T.S., syndic adjoint, et Marcel Bonneau, T.S., directeur du bureau du syndic, tireront leur révérence après 28 ans (Étienne) et 20 ans (Marcel) de loyaux services. En retraçant, avec eux, l’évolution de leurs fonctions au sein de l’Ordre, nous nous sommes rendu compte que l’évolution du rôle de syndic et de ses pratiques a suivi celle de nos professions.


Un rôle à bâtir, une place à prendre

Dès son entrée en poste, en 1991, Étienne Calomne constate l’ampleur du défi qui l’attend. «Il a fallu développer les outils, mettre en place des techniques d’enquête, structurer la fonction et l’organiser, rédiger les politiques et procédures, nous n’avions aucune expertise juridique ni procédurale. Ce travail ne s’apprend pas à l’université, on a dû tout inventer, apprendre sur le tas».

Étienne Calomne nous a confié avoir accepté ce poste parce qu’il y voyait une opportunité de contribuer à l’amélioration des pratiques professionnelles. «J’ai toujours eu un intérêt pour les aspects juridiques que ce défi représentait et j’étais déjà conseiller clinique au sein du réseau de la santé et des services sociaux. D’une certaine façon, ces nouvelles responsabilités jumelaient bien mes deux centres d’intérêt».

En septembre 1999, Marcel Bonneau, T.S., se joint à l’équipe et passera de syndic adjoint à responsable du bureau du syndic en avril 2013. Également issu du réseau de la santé et des services sociaux, plus précisément en protection de la jeunesse, Marcel Bonneau a manifesté de l’intérêt pour le poste de syndic en raison du contact direct avec la clientèle : «Je rédigeais des programmes cliniques à l’époque et, un peu comme Étienne, j’ai vu en ce poste la possibilité de contribuer à l’amélioration des pratiques professionnelles et, jusqu’à un certain point, la capacité de continuer de faire du travail social, parce que cette profession restera toujours ma passion première». Marcel Bonneau se rappelle qu’en 2001-2002, l’Ordre comptait 4 795 membres et que le bureau du syndic avait reçu 38 demandes d’enquête, soit un ratio d’une demande par tranche de 26 membres, alors qu’en 2019-20, alors que le tableau des membres affichait 14 361 détenteurs de permis, le syndic a reçu 259 demandes d’enquêtes, pour un ratio d’une demande par tranche de 55 membres. Bien qu’environ 50% des demandes acheminées au bureau du syndic s’avèrent non fondées, 9 plaintes sur 10 déposées devant le Conseil de discipline se concluent par un plaidoyer de culpabilité.

Quel est le rôle du syndic?

Le syndic agit à titre d’enquêteur, de plaignant ou de conciliateur lorsqu’il est informé d’une dérogation potentielle d’un membre de l’Ordre aux dispositions légales et réglementaires encadrant nos deux professions. Étienne et Marcel s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un travail rigoureux qui doit s’effectuer en gardant toujours en tête le respect des droits du public et des membres. «C’est à la fois une question de rigueur, de respect et de bienveillance», dira Étienne, alors que pour sa part Marcel insiste sur l’importance «d’effectuer un suivi serré de l’évolution du dossier aux personnes impliquées, à chaque étape du processus». «Nous avons toujours priorisé les personnes les plus vulnérables dans notre travail parce que nous sommes d’abord et avant tout des travailleurs sociaux et que nous sommes en mesure d’évaluer et de comprendre les situations les plus délicates en fonction du degré de vulnérabilité des personnes concernées».

Le positionnement du bureau du syndic dans les bureaux de l’Ordre

MM Calomne et Bonneau tiennent encore aujourd’hui à témoigner de leur gratitude à l’endroit de l’ex-président de l’Ordre, Claude Leblond, T.S., ainsi qu’à la directrice générale et secrétaire de l’époque, Ghislaine Brosseau, T.S., qui ont posé des gestes concrets pour installer le syndic et son équipe adéquatement dans les bureaux de l’Ordre et de lui accorder les ressources humaines et financières nécessaires pour réaliser efficacement son mandat. «On nous a sortis de notre petit coin sombre pour nous installer au grand jour parmi l’ensemble du personnel qui ainsi a pu se familiariser avec notre mandat. Les enquêtes sont menées depuis nos bureaux, les installations du conseil de discipline y sont également. Ce geste était très révélateur de l’importance que l’Ordre accordait à l’époque et accorde toujours à la notion de protection du public». D’ailleurs, la présidente actuelle, Guylaine Ouimette, et la directrice générale et secrétaire, Nathalie Parent, maintiennent ce positionnement du Bureau du syndic au sein de l’ordre, notamment en soutenant la présence du syndic à chaque réunion du Conseil d’administration pour la présentation de l’état de situation du travail de son équipe

Septembre 2012 :
un moment charnière, le projet de Loi 21 et les activités réservées

On s’en souviendra, l’entrée en vigueur du projet de Loi 21, Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines a littéralement fait bondir les effectifs de l’Ordre qui sont passés de 8 500 à 11 400 membres en une année. Ce projet de loi visait notamment à assurer une meilleure protection du public en plaçant la personne au centre des préoccupations, en offrant des garanties de compétences et d’intégrité du système professionnel, en favorisant le travail en interdisciplinarité, en encadrant la pratique de la psychothérapie et en soutenant la continuité dans la prestation des services. Dix professions sont visées par ces modifications au Code des professions : les conseillers en orientation, les ergothérapeutes, les infirmiers et infirmières, les médecins, les orthophonistes et audiologistes, les psychologues, les psychoéducateurs, les thérapeutes conjugaux et familiaux et les travailleurs sociaux.

Recommandation phare du rapport du Comité Trudeau, l’implantation d’activités réservées s’explique par le haut risque de préjudice que représentent certaines activités professionnelles complexes et qui ont un caractère irrémédiable, pouvant parfois causer ou entraîner des complications, des perturbations ou encore la perte d’un droit. Dans un tel contexte, les professionnels agissent de plus en plus souvent dans des situations complexes, conflictuelles, comme c’est le cas en protection de la jeunesse, en expertise de garde d’enfants ou dans les dossiers de régimes de protection pour adultes. «Quand on ajoute à cela, explique Marcel Bonneau, l’obligation des employeurs d’informer les ordres lorsque des procédures disciplinaires sont imposées à un professionnel (suspension, congédiement) ainsi que la plus grande sensibilité du public, on comprend l’impact que ces changements ont pu avoir sur le bureau du syndic».

 Revenant sur la hausse du nombre de demandes que reçoivent les syndics, Marcel et Étienne l’expliquent en partie par  le fait que le public est de mieux en mieux informé de ses droits, connait mieux le mandat des ordres professionnels – protéger le public – et que les gens sont généralement mieux organisés et n’hésitent plus à porter plainte.

La tenue de dossiers : le miroir de la qualité de l’intervention

La tenue de dossier inadéquate est encore et toujours un élément présent et de plus en plus les employeurs le signalent. «Ça varie beaucoup d’une personne à l’autre, nous confie Étienne; toutefois, on remarque que généralement les membres soucieux d’une pratique très professionnelle, ont une tenue de dossier impeccable». Selon Marcel, il faut évidemment prendre en compte la hausse de la charge de travail, les exigences patronales et la complexité que représente l’ajout aux dossiers d’éléments numériques, tels courriels, textos, etc. Étienne et Marcel s’entendent pour dire que la tenue de dossiers est souvent le miroir de la pratique; quand il y a manquement à ce niveau, bien souvent, il y a manquement ailleurs.

En hausse importante, les plaintes concernant les personnes âgées

Syndic et syndic adjoint s’entendent pour dire que l’opinion publique a développé une très grande sensibilité face aux personnes vulnérables en général et aux personnes aînées en particulier, ce qui se reflète jusqu’au bureau du syndic. «Les dossiers impliquant les régimes de protection sont en progression constante. On est appelé à sanctionner des membres à propos de leur évaluation de l’inaptitude, des apparences d’abus psychologique ou financier, etc. le nombre de plaintes augmente sans cesse dans ce domaine et ça va sûrement continuer d’augmenter compte tenu de l’exercice exclusif de cette activité par les membres de l’Ordre».

Les gestes à caractère sexuel : tolérance zéro

À l’époque, les gestes dits de proximité, accolades, touchés, étaient plus courants, banalisés, se rappellent MM Calomne et Bonneau. «Aujourd’hui, ces agissements sont considérés comme des gestes à caractère sexuel et la tolérance zéro, dans ce domaine, est bien connue tant par les professionnels que par le public. On parle ici d’une radiation automatique de 5 ans et d’une amende minimale de 2 500 $ avec la publication automatique de cette décision lorsqu’un membre est reconnu coupable d’une telle accusation».

Une approche novatrice en réponse à la lourdeur du processus disciplinaire

Dans certains cas, le syndic peut désormais proposer au membre un engagement volontaire à améliorer sa pratique lorsque celui-ci s’engage à poser des gestes aux bénéfices de sa clientèle. Même si le mandat du syndic ne consiste pas à former ni à offrir un soutien clinique aux membres, certaines situations méritent la prise en compte de l’engagement volontaire du membre pour une formation plus poussée, ou un recours à de la supervision. Ceci est particulièrement approprié lorsque le membre reconnaît spontanément que ses connaissances ou ses compétences peuvent être incomplètes ou obsolètes. Un intérêt réel pour la formation continue et la reconnaissance de son utilité doivent être les facteurs de motivation exprimés par le membre. Il ne s’agit pas d’une mesure punitive, mais plutôt une responsabilisation du membre versus sa pratique professionnelle, qui tient compte de la protection du public et qui contribue à désengorger le processus disciplinaire.

La perception des membres face au syndic

Il serait faux de prétendre que le fait de recevoir un appel du syndic ne cause pas un certain stress chez les membres. «Au départ, c’est certain que ce n’est jamais la meilleure nouvelle de la journée; c’est un peu comme se faire interpeller par une autopatrouille et chez les membres qui pourraient avoir des choses à se reprocher on peut s’imaginer à quel point ça peut être dramatique». De plus en plus souvent, les membres sont tentés d’obtenir du soutien par leurs ressources syndicales, ou font appel à un avocat pour les épauler. Par contre, nous confient Étienne et Marcel, il n’est pas rare que des membres les remercient parce que l’expérience leur aura aidé dans leur pratique, soit en corrigeant certains irritants, soit en leur confirmant que leur pratique est irréprochable. «En général, affirme Marcel, on sent une meilleure perception de la part des membres face au travail du syndic; ils réalisent de plus en plus que l’Ordre n’est pas là pour les défendre – ni pour les accabler – mais bien pour assurer la protection du public. C’est notre principal mandat, ils le savent et ils l’acceptent».

Des dossiers qui feront école

Interrogés à savoir quels dossiers les auront marqués au cours de leur carrière de syndic, MM Calomne et Bonneau en nomment deux : la cause impliquant l’Ordre et les Forces armées canadiennes et l’affaire Kerner. Dans le premier cas, la bataille aura duré 10 ans, au terme desquels l’Ordre a eu gain de cause en cour d’appel sur un élément essentiel : un ordre professionnel peut sanctionner un travailleur social militaire pour un acte commis alors qu’il était membre de son ordre professionnel, et ce, malgré la législation fédérale applicable à un militaire. (Pour en apprendre davantage sur ce dossier, consultez le document suivant : Cour d’appel résumé cause Breton TS)

En 2017, après enquête, le bureau du syndic dépose 2 plaintes contre Mme Alissa Kerner, T.S., comportant 18 chefs d’accusation dont des gestes de collusion posés envers 2 personnes aînées. Ces 2 plaintes font suite à 4 enquêtes, impliquant 4 personnes âgées, pour lesquelles Mme Kerner avait accepté, en pratique autonome, de compléter une évaluation psychosociale dans le contexte des régimes de protection. Mme Kerner a été reconnue coupable et a été radiée provisoirement du tableau de l’Ordre, pour une période de 2 ans. Le Conseil de discipline lui a également imposé une sanction additionnelle de 3 ans de radiation.

Dans ce dossier, se rappelle Marcel Bonneau, la célérité avec laquelle le bureau du syndic et le conseil de discipline de l’Ordre ont agi a été soulignée par les médias. «Ça confirme ce que je déclarais plus tôt à savoir que nous avons toujours accordé une attention particulière aux dossiers qui concernent des personnes vulnérables», ajoute M. Bonneau. (Pour en apprendre davantage sur ce dossier, consultez le texte paru sur Mots sociaux en 2017)

L’âme du T.S. doit rester présente dans l’âme du syndic

En guise de conclusion, MM Calomne et Bonneau garderont longtemps en souvenir l’accompagnement de centaines de personnes face à des problèmes personnels, des problèmes d’organisation. Ils se rappelleront longtemps de toute cette écoute empathique surtout lorsqu’ils avaient à entendre des choses venant heurter le travailleur social en eux. Ils n’oublieront jamais la compassion ni l’abnégation nécessaire lorsque vient le temps de porter des accusations. «En tant que syndic, on n’est pas là seulement pour écouter et pour réfléchir; il faut être prêt à tout entendre et être prêt à passer à l’action quand la protection du public est en cause. Enquêteur, oui, plaignant, bien sûr, mais d’abord et avant tout travailleur social».

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