Aspect 10 – Inégalités de revenu et disparités de niveaux de vie

 

L’histoire des protections minimales du revenu au Québec, notamment à l’aide sociale, montre que si l’argument de l’incitation à l’emploi a souvent servi à diminuer les garanties de couverture, l’argument du coût des mesures a servi de son côté à écarter les propositions pour les améliorer. À ce double jeu, les standards de la solidarité collective ne peuvent que baisser et entretenir des situations de pauvreté chronique. Une façon de remettre les choses en proportion consiste à regarder non seulement au-dessous des seuils, mais aussi au-dessus. La MPC offre des possibilités intéressantes de ce côté.

On peut estimer le nombre de personnes et de ménages sous le seuil de la MPC et le revenu qui leur manque pour l’atteindre. On peut aussi estimer le nombre de ménages au-dessus de ce seuil. En ce sens, la MPC fournit un indicateur précieux pour prendre des décisions politiques en tenant compte de ce qu’il en coûte pour assurer les besoins de base et en se préoccupant des disparités de revenu disponible à cette fin.

Une recherche menée à l’IRIS en 2016 a permis de faire les constats suivants.

  • Nous avons les moyens collectifs de deux fois le seuil de la MPC pour l’ensemble des ménages, autrement dit, de deux paniers.
  • Le revenu du dixième le plus pauvre des ménages limite ces ménages en moyenne autour d’un demi-panier.
  • Une personne sur dix vit dans un ménage qui ne dispose pas du revenu nécessaire pour couvrir ses besoins selon la MPC.
  • Le revenu manquant à l’atteinte du seuil de la MPC était de 3,6 G$ en 2011, soit moins de 2 % du revenu après impôt disponible au Québec (191 G$).
  • Ce qui manquait pour couvrir les besoins de base était contenu cinq fois dans la différence de revenu disponible entre les ménages du neuvième et du dixième décile les plus riches.
  • La croissance du niveau de vie des ménages au-dessus du seuil de la MPC de 2002 à 2011 (en dollars constants) a été plus grande que le total de ce qui manquait aux autres ménages pour l’atteindre. Autrement dit, alors qu’il y aurait eu moyen de combler en dix ans le manque des un·e·s sans porter atteinte au niveau de vie des autres, les décisions publiques ont plutôt favorisé la concentration de la richesse.

Tout cela se relie à des disparités importantes de niveaux de vie qui se côtoient la plupart du temps en silence dans nos milieux de vie.

Comment s’en parler de façon constructive et productive alors que nous avons peu l’habitude de le faire en présence les un·e·s des autres?

Il y a beaucoup à expérimenter ici. À cet égard, la recherche de l’IRIS a fourni une piste intéressante : si on situe les capacités financières des un·e·s et des autres par rapport à un indicateur de couverture des besoins de base, les différences de réalité deviennent tout à coup plus concrètes.

L’indicateur « panier » compilé dans cette recherche est parlant. Le tableau 3.5 présente la capacité moyenne des ménages par décile de revenu après impôt en 2011 d’après la recherche de l’IRIS.

À quoi ressemble la vie quotidienne au niveau d’un demi-panier (souvent des personnes seules et des couples sans enfant), d’un panier, de deux, de trois, de quatre et plus?

Une simulation réalisée en Gaspésie en 2016 avec une centaine de personnes de niveaux de revenus variés s’est avérée instructive à cet égard. Les personnes ont été distribuées au hasard en dix tables représentant chacune un décile des ménages, du plus pauvre au plus riche. Chaque table disposait d’informations sur le seuil de la MPC et sur le niveau de revenu disponible pour vivre correspondant au coefficient panier de son décile pour un ménage de une à quatre personnes. Les gens devaient répondre aux mêmes questions : qui vit avec ce niveau de revenu en Gaspésie? Qu’est-ce qu’on peut se permettre avec ce niveau de revenu? Qu’est-ce qu’on ne peut pas se permettre? Sur quoi et sur qui comptez-vous? Diverses mises en situation étaient proposées, par exemple : votre médecin vous prescrit des traitements de deux mois à Québec, que faites-vous?

À la fin de l’exercice chaque table devait proposer une image représentative du niveau de vie qu’elle avait exploré. Sans se consulter, les tables 4 et 5 ont toutes deux présenté l’image d’un funambule sur un fil, soit une image d’équilibre précaire. Les tables suivantes ont présenté des images d’aisance, le seuil entre la précarité et l’aisance étant exprimé par la table 6, ce qui correspond aux moyens collectifs de deux fois le seuil de la MPC. Quant aux tables 1 et 2, elles  ont présenté des images de personnes au sol, en-dessous des standards, et la table 3, l’image d’une famille qui n’a que la tête hors de l’eau. Autrement dit, sans se consulter ces dix tables ont présenté une continuité étonnante dans leur manière de se représenter les niveaux de vie, du manque à l’aisance et à la grande aisance, en passant par l’équilibre précaire. Leurs autres réponses se sont avérées à l’avenant. Les échanges qui ont suivi ont été empreints de cette conscience des différences concrètes de qualité de vie et des enjeux de solidarité qu’elles soulèvent.

Il y a beaucoup à explorer sur des façons de se parler des inégalités de revenu et des standards à se donner pour se retrouver davantage au milieu. L’expérience a permis de constater toutefois que faire appel à l’intelligence collective est une bonne façon de construire des repères concrets pour s’en parler. Le débat est facilité si on offre des occasions de se situer par rapport à la couverture des besoins de base et si on propose à des gens de se placer dans une autre situation que la leur. On retrouve ici une idée de la théorie de la justice de John Rawls qui proposait de prendre des décisions de justice sociale en se supposant derrière un voile d’ignorance, comme si on ne savait pas dans quelle condition on allait se réveiller après ces décisions.

EngrenageEXERCICE 18 : Quelles possibilités voyez-vous dans votre milieu de faciliter des échanges constructifs sur les inégalités de revenu et les standards à se donner pour construire une qualité de vie mieux partagée?

Après une telle expérience, on est peut-être plus susceptible de porter attention aux différences de règles du jeu qui font, par exemple, que des jeunes évitent les études universitaires par peur de l’endettement. Ou encore à celles qui font que les inégalités risquent d’augmenter à la retraite parce qu’une partie des ménages n’est pas en mesure de cotiser à un régime d’épargne-retraite. Ou encore à celles qui font que les baisses d’impôt des dernières années auront surtout profité aux plus riches et augmenté les écarts de niveaux de vie tout en diminuant la redistribution possible par les finances publiques alors qu’il aurait pu en être autrement.

 

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