Aspect 12 – Vers un bien-vivre mieux partagé

Entre un plancher social qui protège contre les privations humaines critiques et un plafond environnemental qui permet d’éviter le dépassement des seuils naturels critiques, on trouve un espace sûr et juste pour l’humanité – qui a la forme d’un donut (ou si vous préférez un pneu, un bagel ou une bouée). Il s’agit de l’espace dans lequel tant le bien-être humain que le bien-être planétaire sont assurés et leur interdépendance respectée.

Raworth, K. 2012. Un espace sûr et juste pour l’humanitéOxford: Oxfam International.

Source : Raworth, K. 2012. Un espace sûr et juste pour l’humanité. Oxford: Oxfam International.

En 2012, Kate Raworth et Oxfam International ont proposé de visualiser un « espace sûr et juste pour l’humanité » comme une sorte d’anneau où personne n’est dans le trou et où tout le monde reste à l’intérieur de limites viables pour l’environnement.

Dans cette représentation, les enjeux sociaux et environnementaux se rejoignent.

1. Une vision intégrée : si l’on prend pour centre d’intérêt le développement durable, il est évident que la vie de chacun doit être construite sur le plancher social que constituent les droits de l’homme, tout en restant en-deçà du plafond environnemental, et que l’économie doit être structurée et gérée de manière à rendre cela possible. Ce cadre met en relief le caractère interconnecté des dimensions sociales, environnementales et économiques du développement durable.

2. Une reconcentration des priorités économiques : dans ce cadre, les pressions sociales et environnementales ne sont plus décrites comme des « facteurs externes » économiques. Au lieu de cela, les limites planétaires et sociales constituent le point de départ pour évaluer la manière dont l’activité économique doit avoir lieu. Le but global de l’économie n’est plus la croissance économique en soi, mais plutôt de placer l’humanité dans l’espace sûr et juste – à l’intérieur du donut – et de promouvoir un bien-être humain accru dans cet espace.

3. Des instruments de mesure autres que le PIB : on ne saurait évaluer le développement économique en seuls termes monétaires. Que l’activité économique nous rapproche vers les limites planétaires et sociales ou nous en éloigne détermine le degré d’inclusivité et de durabilité du développement économique. Les décideurs doivent rendre davantage de comptes sur l’impact de l’activité économique sur les limites planétaires et sociales, en ayant recours à des instruments de mesure naturels (comme les tonnes de carbone émis), ainsi que sociaux (comme le nombre de personnes confrontées à la faim).

Raworth, K. 2012. Un espace sûr et juste pour l’humanitéOxford: Oxfam International.

Cette visualisation rejoint une image d’entonnoir apparue en 1998, alors que les participant·e·s en situation de pauvreté du Carrefour de savoirs sur les finances publiques se préparaient à un dialogue avec des fonctionnaires du ministère des Finances de Québec.

Source : Carrefour de savoirs sur les finances publiques, et Labrie, V. Des concepts économiques pour tenir compte du problème de la pauvreté et de l’exclusion. 1998. Québec: Carrefour de pastorale en monde ouvrier.

Adam Smith, le père du libéralisme économique, affirmait qu’il fallait cinq cent pauvres pour faire un riche. Faut-il accepter cette pyramide pour fonctionner dans l’économie de marché? La question vous est posée. Une chose est sûre: quand on est au bas de cette pyramide, on se sent comme devant une forteresse. On ne se sent pas compris. On se fait souvent interdire l’accès aux portes. En tout cas on ne se sent pas bien. Pour expliquer son malaise, Serge-Emmanuel introduit une autre pyramide inversement proportionnelle à la place que t’occupes dans la hiérarchie sociale: la marge de manœuvre et de respiration. Il compare l’affaire à un entonnoir: en haut de l’échelle, y a de l’air autour, c’est sûr que tu respires, en bas, t’es serré et comprimé comme dans un tuyau, c’est sûr que tu soupires. […] Quand on vit la pauvreté, on est dans le tuyau de l’entonnoir dont parle Serge-Emmanuel, et qu’on retrouve dans le schéma ci-contre.

Éliminer la pauvreté, ce serait trouver le moyen de permettre aux personnes qui sont dans ce tuyau d’agrandir l’espace autour d’elles et d’avoir accès à ces grandes fonctions qui font la vie en société.

Ce serait aussi travailler à réduire les écarts entre le haut et le bas, même si c’est dérangeant, parce que ces écarts n’ont aucune justification valable sur le plan humain. Ils n’ont que des justifications dans la loi du marché.

Lors d’un débat au Parlement de la rue en novembre 1997, des gens ont défini la santé comme étant le fait de pouvoir accéder aux trois pôles identifiés ici: les besoins, l’activité, la citoyenneté. Plusieurs personnes ont expliqué que la santé était en dehors de leur cercle, de leur marge de manœuvre. On comprend mieux en voyant ça pourquoi la pauvreté est un déterminant de la mauvaise santé dans La politique de la santé et du bien-être du Québec. On comprend mieux aussi qu’en faisant de la place, on travaille en même temps au développement de personnes et de communautés en santé.

Avec ce schéma, une fois qu’on a pris acte des souffrances que vivent les personnes dans chacune des zones, on peut commencer à chercher des solutions spécifiques à chacune de ces zones. Et aborder plusieurs aspects en même temps.

Carrefour de savoirs sur les finances publiques, et Labrie, V. 1998. Des concepts économiques pour tenir compte du problème de la pauvreté et de l’exclusion. Québec: Carrefour de pastorale en monde ouvrier.

C’est un peu comme si l’anneau de Kate Raworth ressemblait à l’entonnoir de Serge-Emmanuel vu d’en haut. Il y a sûrement matière à continuer de jouer avec ces images, voire à en inventer de nouvelles. Chose certaine, elles racontent quelque chose des transitions à vivre vers un bien vivre mieux partagé.

 

EngrenageEXERCICE 20 : En quoi mes pratiques entretiennent-elles des échelles sociales et économiques qui entretiennent à leur tour la pauvreté, les inégalités de revenu et l’exclusion sociale ? En quoi contribuent-elles à se retrouver davantage au milieu d’un espace juste et sûr pour toutes et tous?

 

Dans un ouvrage récent, Doughnut Economics[1], Kate Raworth poursuit sa réflexion de 2012 et propose sept façons de repenser notre monde dans cette perspective.

  1. Changer le but, du PIB à la réalisation effective des droits.
  2. Voir le portrait d’ensemble.
  3. Prendre soin de la condition humaine.
  4. S’intéresser aux enjeux de système.
  5. Concevoir pour redistribuer.
  6. Créer pour regénérer.
  7. Se montrer agnostique à propos de la croissance.

 

EngrenageEXERCICE 21 : Lesquelles des sept pistes proposées par Kate Raworth sont déjà présentes dans ma façon d’aborder mes actions et interventions? Lesquelles seraient à intégrer davantage? Comment le faire?

 

Il y a là d’intéressantes pistes de travail, qui recoupent en partie ce qui a été appris dans les aventures de trois carrefours de savoirs vécus avec des personnes en situations et d’autres acteurs sociaux depuis 1998 et du travail de suivi des finances publiques qui en a résulté.

Source : Labrie, V. 2015. Le fric, le doux et le dur. Boussoles citoyennes pour tendre vers une société sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde. Chicoutimi: Carrefour de savoirs sur la richesse et les inégalités au Saguenay/Lac-St-Jean, Solidarité populaire-02.

Aborder la richesse et les inégalités en tenant compte du fric, du doux et du dur suppose notamment les ingrédients suivants.

  1. Un cadre économique plus large que le tout-au-PIB et permettant de s’intéresser au doux et au dur de la vie, à l’intérieur et à l’extérieur de l’univers monétaire.
  2. Une connaissance de la culture budgétaire en usage pour les finances publiques avec ses cycles.
  3. Un accès aux comptes économiques et à la façon dont on utilise le PIB dans la vie économique de la société.
  4. Une méthode précise et récurrente d’analyse des budgets publics, en portant attention aux mots utilisés dans la documentation et en cherchant une façon de conserver d’année en année la mémoire des mesures des années précédentes.
  5. Une conscience de l’horizon politique recherché.
  6. Une vision du pacte social et fiscal souhaité.
  7. Des indicateurs de la situation des personnes et des inégalités de revenu par rapport à ce qu’il en coûte pour vivre.
  8. Des sources statistiques.
  9. Des moments de travail citoyen permettant la créativité et le croisement des savoirs depuis les marges du système dominant.
  10. Un suivi de l’actualité attentif aux fenêtres d’opportunité et aux degrés de liberté qui permettent de poursuivre le travail et de faire le pas suivant.

On peut croire que tout cela fait partie intégrante du chemin vers un Québec et un monde sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde. Ainsi que d’une vigilance citoyenne informée et du travail social, tant individuel que communautaire, dans cette direction.

Tout comme le fait d’envisager ensemble les enjeux sociaux et environnementaux[2].

Et quoi d’autre encore?

Bonne réflexion et bonne route.

 

EngrenageEXERCICE 22 : Phrase à compléter. Vivre la pauvreté au Québec, c’est…

 

EngrenageEXERCICE 23 : Phrase à compléter. Avancer vers un Québec sans pauvreté, c’est…

 

EngrenageEXERCICE 24 : Phrase à compléter. Avancer vers un Québec riche pour tout le monde, c’est…

 

EngrenageEXERCICE 25 : Phrase à compléter. Avancer vers un Québec riche de tout son monde, c’est…

 

EngrenageEXERCICE 26 : Phrase à compléter. On s’éloigne d’un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde quand…

 

EngrenageEXERCICE 27 : Phrase à compléter. Vers un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde, le travail social…

 

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[1] Raworth, K. 2017. Doughnut Economics: Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economist. White River Junction : Vermont Chelsea Green Publishing.

[2] Voir par exemple :  Favreau, L. 2017. Mouvement communautaire et État social : les défis de la transition sociale écologique. PUQ.

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