Aspect 3 – Les premières à agir pour s’en sortir

Dans la loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, il est dit dans le préambule que les personnes en situation de pauvreté sont les premières à agir pour s’en sortir… Si on ajoute que c’est agir pour s’en sortir « dans un escalier roulant qui descend», votre admiration pour notre courage ne donne pas grand chose. Vous devez vous occuper d’arrêter les escaliers de descendre. C’est là votre responsabilité.

Changer son regard, c’est aussi l’agrandir pour voir les escaliers roulants dans lesquels l’ensemble des gens se démènent et les sens et les contresens dans lesquels ils vont. C’est garder les yeux ouverts. Et commencer à se demander si un escalier est vraiment un bon endroit pour vivre.

Le droit de nos droits, 2003

La conscience des facteurs systémiques qui causent et maintiennent la pauvreté se précise quand on part de l’intelligence qu’ont les personnes en situation de pauvreté des situations qu’elles vivent. D’où l’importance qu’elles soient au cœur des processus qui les concernent.

Les groupes de défense de droits constatent quotidiennement à quel point les personnes en situation de pauvreté sont les premières à agir pour s’en sortir avec les leurs. Et à quel point elles subissent des humiliations et des préjugés de toutes sortes, en s’inscrivant à l’aide sociale, pour obtenir de l’aide alimentaire, dans des lignes ouvertes qui commentent les programmes sociaux dans les médias.

Sans leurs contributions, leurs exemples et leurs réflexions, on aperçoit moins facilement les situations impossibles dans lesquelles elles peuvent être placées par un programme, une formation, un soutien, lesquels n’aident pas toujours. Sans compter ces fameuses échelles sociales, dont il est souvent difficile d’attraper le premier barreau. On aperçoit peut-être mieux ces échelles quand on se trouve plus à leur marge que dedans. Comment enrichir les débats et les analyses de ces regards importants et même incontournables pour penser autrement en vue d’agir autrement?

EngrenageEXERCICE 9 : Pensez à une occasion où votre regard sur une situation a été transformé par les paroles ou les gestes de personnes à la marge des standards du bien-être collectif. De quoi s’agissait-il ?

En 2003, en réfléchissant sur la couverture des besoins essentiels, un groupe de personnes d’expertises diverses, incluant des personnes en situation de pauvreté, a constaté que le concept d’échelle sociale ne suffisait pas  pour décrire les inégalités de traitement mentionnées et leurs asymétries à deux poids deux mesures. L’idée est venue que la société ressemblait davantage à un système d’escalateurs roulant dans des directions opposées. D’un côté, les plus pauvres tentent de monter dans un escalier roulant qui descend et luttent à contre-courant pour ne pas sombrer ou simplement pour survivre. À l’autre bout de ce système, les plus à l’aise disposent d’un escalateur qui monte et qui facilite d’autant leur ascension sociale. D’où ce cri du cœur venu dans une déclaration intitulée Le droit de nos droits présentée par la suite à des parlementaires de l’Assemblée nationale : « Dans un système comme celui-là, sur quoi faut-il agir en premier ? Faut-il s’acharner sur les personnes pour qu’elles arrivent à monter l’escalier qui descend ? Ou faut-il s’occuper des escaliers ? ».

Comment s’occuper des escaliers?

Cette image s’est avérée assez puissante pour servir de base à un outil d’analyse qui peut aider à apercevoir les effets d’escaliers roulants dans diverses situations et à explorer comment il serait possible d’agir sur les règles à deux poids, deux mesures, qui y sont associées.

Les exemples terrain de situations à deux poids, deux mesures, qui génèrent des inégalités, sont nombreux. On pourrait évoquer l’impact des réductions d’impôt mentionnées plus tôt, qui augmentent inévitablement les écarts de revenu disponible selon qu’on dispose d’assez de revenu pour payer de l’impôt ou non. Ou le système des intérêts qui fait qu’un 100 $ emprunté laisse plus pauvre des intérêts exigés alors qu’un 100 $ prêté laisse plus riche des intérêts reçus. Ce qui peut jouer par exemple dans le fait de devoir emprunter ou non pour étudier, voire de choisir de ne pas poursuivre d’études par crainte de l’endettement. Il y a de même un effet d’escaliers roulants dans les pensions alimentaires reçues pour les enfants qui sont déduites des prestations du parent à l’aide sociale qui les reçoit, alors qu’elles ne sont pas imposables plus haut dans l’échelle sociale.

Cette image rejoint d’autres considérations sur l’idée d’ascenseur social en panne. Elle a conduit aussi à une autre question qui peut permettre de rêver l’avenir autrement : est-il incontournable de vivre dans des escaliers?

Ce genre d’attention aux facteurs systémiques est présent depuis longtemps dans les analyses des mouvements sociaux de même que dans la littérature en travail social. Il manque souvent dans les considérations qui motivent les décisions publiques. Comment lui donner plus d’importance? C’est un point de tension principal qui a marqué la manière d’envisager de parts et d’autres l’action gouvernementale requise par la loi.

 

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