Aspect 4 – Le plan d’action requis par la Loi

« Y a rien de pire que quelqu’un qui veut ton bien à ta place. »

Une citoyenne de Rouyn, au tournant des années 2000

« Si j’achète du bœuf haché, on me dit que c’est pour ça que je suis grosse. Si j’achète du steak haché maigre, on me dit que c’est pour ça que je suis pauvre, parce que je ne sais pas gérer mon budget. »

Entendu un jour dans une conversation d’automobile, en route pour une réunion.

La stratégie nationale instituée par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit s’actualiser dans un plan d’action gouvernemental permanent (articles 13-21) qui doit faire l’objet d’un rapport annuel et qui peut être modifié, « en tenant compte notamment des avis du Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ».

La loi de 2002 a imposé d’emblée quatre modifications à l’aide sociale pour éliminer les réductions pour partage de logement, pour instaurer un plancher de revenu non susceptible de réductions, pour hausser la valeurs des biens et avoirs liquides et exclure une partie des pensions alimentaires reçues pour un enfant du calcul des prestations.

Ces modifications ont été effectuées dans la première mouture du plan d’action, intitulée Plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Celui-ci a mis en place notamment des mesures qui ont amélioré la couverture des familles, avec le Soutien aux enfants et la Prime au travail.

Il a par ailleurs introduit une demi-indexation des prestations d’aide sociale de base, dont l’effet d’escalier roulant vers le bas était évident, une incohérence qui a éventuellement été corrigée dans le second plan d’action, mais sans réparer le creusement opéré.

La seconde mouture du plan d’action, publiée en 2010, a été intitulée Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale. Tout en maintenant grosso modo les directions prises antérieurement, ce plan d’action a instauré un nouveau crédit d’impôt remboursable, le crédit pour la solidarité, en remplacement de trois crédits antérieurs (pour TVQ, impôt foncier et résidence nordique). Ce crédit, versé aux particuliers qui remplissent les conditions, même si leurs revenus sont trop faibles pour payer de l’impôt présente un potentiel intéressant pour redistribuer des revenus vers le bas de l’échelle. Le plan a misé aussi sur le développement d’actions territoriales et sur la signature d’Alliances régionales pour la solidarité, qui ont fait par la suite l’objet de divers partenariats et orienté ce faisant les actions et les formes d’organisations locales.

Les premiers dix ans de l’application de la loi dans le cadre de ces deux plans d’action ont ainsi été marqués par un certain nombre d’avancées, de reculs et de statu quo. En gros, on peut noter des consensus sur l’amélioration de la situation des familles avec enfants, et sur la stagnation, voire la détérioration de la situation des personnes seules et des couples sans enfants.

Il était attendu que la troisième mouture du plan d’action corrige ces manques pour les ménages sans enfant. Cette troisième mouture du plan d’action, intitulée cette fois Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale, a été rendue publique le 10 décembre 2017. La mesure phare de ce plan d’action répond partiellement à cette attente en prévoyant l’instauration d’un dit revenu de base, pour les prestataires de la sécurité du revenu présentant des contraintes sévères de longue durée (soit au moins 66 mois de prestations sur les derniers 72 mois)[1]. Ces prestataires sont principalement des personnes seules ou des couples sans enfants. Avec la mesure annoncée, leur revenu se rapprochera à terme de la couverture de leurs besoins de base. Les autres prestataires présentant des contraintes sévères à l’emploi obtiendront une amélioration intermédiaire de leur revenu. Quant aux garanties de revenu prévues pour les prestataires ne présentant pas de contraintes reconnues, de faibles améliorations sont prévues. Ces améliorations limiteront la couverture de leurs besoins de base à 55% du seuil utilisé à cette fin, sous le niveau de couverture le plus bas consenti à l’aide sociale depuis ses débuts en 1969 pour la prestation de base.

Par ailleurs, comme nous le verrons plus loin (voir l’aspect 8 de cette partie du dossier), ce nouveau plan d’action introduit beaucoup de désinformation en faisant un usage des seuils de faible revenu non conforme aux recommandations faites par le CÉPE en 2009. Il ne fait aucune mention du comité consultatif mandaté par la loi pour conseiller le ministre et des cibles plus élevées que ce comité a recommandées en 2009. Il passe également sous silence les sanctions introduites avec le nouveau Programme objectif emploi à l’égard des personnes demandant l’aide sociale pour la première fois qui ne se conformeront pas aux obligations de parcours d’insertion vers l’emploi qui leur sont faites. Ces sanctions pourront faire chuter leurs prestations très en-dessous de la prestation de base actuelle. Ce faisant, le plan d’action vient contourner par un nouveau programme l’obligation faite par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et réalisée en 2005, d’instaurer un revenu plancher non sujet à sanctions à l’aide sociale.

Si on examine les effets d’escaliers roulants de ce nouveau plan sur le revenu [2], on peut voir qu’il se limite essentiellement aux prestataires d’aide sociale, qu’il agit sur les escaliers roulants pour améliorer les revenus des personnes en situation de pauvreté présentant des limitations par rapport à l’emploi, qu’il garde les autres personnes dans le statu quo de leur situation difficile et qu’il instaure de nouveaux escaliers roulants qui peuvent descendre avec des sanctions ou monter avec des suppléments pour les nouveaux prestataires. En même temps, si on tient compte de la mise à jour économique de novembre 2017, on peut constater que ces jeux à plusieurs poids et mesures dans les escaliers roulants du bas sont sans équivalent avec les baisses d’impôt six fois et demie plus importantes qui iront accélérer les escaliers roulants du haut pendant la même période.

Nous sommes toutes et tous partie prenante de ces choix publics qui viennent affecter l’équation de nos revenus de même que son impact dans nos vies et dans celles de nos concitoyen·ne·s.

Comment se démêler pour bouger dans tout ça?

 

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[1] Le projet de loi 173, Loi visant principalement à instaurer un revenu de base pour des personnes qui présentent des contraintes sévères à l’emploi, qui vient modifier la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles en conséquence, a été déposé à l’Assemblée nationale du Québec le 14 mars 2018. Il a été l’objet de consultations particulières en général favorables et a été adopté le 15 mai 2018. Voir http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-173-41-1.html.

[2] Cliquez ici pour une analyse plus complète en lien avec la proposition de loi citoyenne de 2000.

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