Aspect 6 – Dépendance, interdépendance et incitation à l’emploi

« S’affrontent ainsi deux conceptions de la juste part. Une conception où elle est étroitement identifiée au mérite économique de chacun et une autre où l’on reconnait le lien de dépendance entre le succès individuel et la coopération sociale fondée sur la participation de tous les citoyens. »

Robichaud, D., et P. Turmel. 2012. La juste part. Montréal: Atelier 10.

Une grande partie de la différence entre les postures citoyennes qui ont conduit à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et les postures gouvernementales qui ont construit et administré cette loi jusqu’à maintenant tiennent à la place donnée à l’incitation à l’emploi et à la conception de la contrepartie dans les décisions publiques qui viennent déterminer les garanties de revenu.

Dans un cas, ces considérations font partie d’un ensemble de facteurs dont il faut tenir compte, dont les droits de toutes et tous à rendre effectifs, dans une approche où l’économie est au service des personnes.

Dans l’autre cas, l’incitation à l’emploi a tendance à prédominer dans une approche où les plus pauvres sont facilement considérés d’abord comme une main d’œuvre à mettre au service des demandes de l’économie.

Avec ses buts et ses orientations décrivant un ensemble plus large, la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale est venue mitiger cette tendance. Par la suite, au cours des ans, l’incitation à l’emploi a repris progressivement une place prédominante et en même temps inconséquente puisque le droit à des mesures qualifiantes vers l’emploi n’a jamais été affirmé et suffisamment provisionné.

La position gouvernementale sous-jacente est assez bien résumée par les propos suivants :

Pour le gouvernement du Québec, l’incitation au travail constitue une priorité. Dans un contexte de rareté de la main-d’oeuvre, les actions gouvernementales en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doivent favoriser la participation au marché du travail du plus grand nombre de personnes qui ont la possibilité d’occuper un emploi.

Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale, 2017.

Dans cette approche, les personnes qui ont besoin de la sécurité du revenu sont dites dépendantes – on parlera par exemple de taux de dépendance à l’aide sociale – et les personnes sans emploi ou autre source de rémunération sont dites inactives. Elles sont vues comme étant à autonomiser et à activer. Les politiques publiques sont envisagées comme des moyens d’influencer leur comportement en ce sens, par la carotte et/ou le bâton, selon un critère de contrepartie ou de mérite de la prestation plutôt que sur la base de droits sociaux.

L’approche citoyenne qui a conduit à la Loi pourrait être résumée comme suit. Conformément aux chartes et pactes des droits en vigueur, toute personne a droit à un revenu décent et à la reconnaissance de son existence, ainsi qu’à l’emploi ou à d’autres formes d’activité et à la reconnaissance de sa contribution. Un emploi n’est pas en soi une garantie de revenu décent. Il y a de la pauvreté et de l’inégalité au travail. Mieux vaut distinguer le droit au reven et le droit au travail et faciliter une éthique collective qui permet d’assurer les deux convenablement.

Cette approche suppose la reconnaissance de notre interdépendance et une attention réciproque aux potentiels et aux besoins des un·e·s et des autres.

Le problème n’est pas tant ici dans la valorisation de l’emploi que dans ses modalités à plusieurs vitesses. Au cours des dernières années, cette posture aura justifié en même temps le retour à des sanctions sur les prestations de base des plus pauvres et des augmentations de rémunération de la profession médicale au moins équivalentes au montant qui manque pour compléter la couverture des besoins de base du dixième le plus pauvre de la population québécoise. Il s’agit donc là davantage d’une question de choix politiques.

Ce qu’on peut apercevoir par ailleurs, c’est l’impact négatif des mesures d’incitation à l’emploi quand elles prennent le pas sur les solidarités. C’est ce qui est arrivé avec la valeur des prestations d’aide sociale de base (pour les personnes jugées aptes au travail). Celle-ci a continuellement baissé en dollars constants, autrement dit en valeur comparable si on tient compte de la hausse du coût de la vie, depuis 1969. La plupart des mesures qui ont conduit à ces baisses a été justifiée par un argument d’incitation à l’emploi : ajustement à une certaine distance du salaire minimum, élimination d’un barème de disponibilité disqualifié en barème de non participation, non indexation ou demi-indexation des prestations. Il n’en reste pas moins que les standards de la solidarité collective ont à chaque fois diminué d’autant, ce qui est bien difficile à rattraper ensuite.

Alors oui pour l’incitation à l’emploi, mais pas que, pas plus qu’ailleurs dans l’échelle sociale, sans discrimination et atteinte à la dignité, et dans l’interdépendance.

EngrenageEXERCICE 12 : Dans ma propre situation, comment se présentent les questions d’incitation à l’emploi et de contrepartie en matière de garanties de revenu? À quoi est-ce que je m’attends de ma société en cas de revenu personnel/familial insuffisant?

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