Le chemin à parcourir et les options possibles

Depuis le Parlement de la rue de 1998, une aventure interactive s’est engagée au Québec entre une volonté citoyenne d’avancer vers une société qu’on pourrait dire sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde et une gouvernance influencée par toutes sortes de courants. Certains courants ont été stimulants, comme tous les gains vers plus de solidarités dans la diversité, d’autres ont été porteurs d’obstacles et de reculs, comme le néolibéralisme, une cause avérée de pauvreté, d’inégalités et d’exclusion.

Devant ces tendances paradoxales, il peut valoir le coup de prendre ou reprendre connaissance de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale adoptée en 2002, toujours en vigueur et dont la bonne application suppose qu’on s’en occupe, tant dans l’action citoyenne, parlementaire que gouvernementale.

Il vaut sûrement aussi le coup de revenir sur la feuille de route détaillée dans la proposition de loi citoyenne qui a généré un large consensus en 2000. En 2018, où en sommes-nous par rapport à cette feuille de route qui continue de faire sens pour de nombreuses organisations citoyennes?

EngrenageEXERCICE 29 : Lire ou relire la Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté mise de l’avant par l’action citoyenne en 2000. Quels aspects vous mobilisent plus particulièrement dans cette proposition de loi? Comment pouvez-vous en tenir compte dans vos actions et vos interventions?

EngrenageEXERCICE 30 : Lire ou relire la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale dans son état actuel, et les notes explicatives qui l’accompagnaient lors de son adoption. Quels aspects vous mobilisent plus particulièrement dans cette loi? Comment pouvez-vous en tenir compte dans vos actions et vos interventions?

Nous avons insisté dans ce dossier sur les règles du jeu qui ont un impact sur l’accès au revenu et sur l’importance d’agir sur ces règles du jeu, qui ne dépendent pas des comportements des plus pauvres, mais de choix collectifs qui concernent toute la société.

Dans cette partie, nous allons d’abord faire le point sur le chemin parcouru et à parcourir à cet égard. Nous le relierons ensuite à un ensemble d’autres dimensions à considérer pour la suite de l’aventure. Et à l’importance de garder le cap à plusieurs.

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A. Le chemin parcouru et à parcourir en matière de revenu

La réalité de 2018 est marquée par les orientations annoncées dans la troisième édition du plan d’action requis par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et par les annonces de l’automne 2017 qui l’ont accompagnée, soit les modifications au règlement de l’aide sociale instaurant le Programme objectif emploi, le rapport du Comité d’experts sur la sécurité du revenu et la mise à jour économique de novembre 2017. La recommandation principale du troisième plan d’action, à l’effet d’instaurer un revenu de base pour les prestataires de la solidarité sociale présentant des contraintes sévères à l’emploi de longue durée a été concrétisée par l’adoption en mai 2018 du projet de loi 173, Loi visant principalement à instaurer un revenu de base pour des personnes qui présentent des contraintes sévères à l’emploi, qui est venu modifier à son tour la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles en conséquence.

la présente section offre un bilan qui peut s’avérer utile pour prendre acte du chemin parcouru et à parcourir en matière d’accès au revenu[1].

La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, a engagé la société québécoise et ses institutions politiques à «tendre vers un Québec sans pauvreté». Cela supposait nécessairement de trouver à relever les garanties de revenu existantes en matière de soutien du revenu, et d’agir pour réduire les inégalités de revenu et l’exclusion sociale.

Les trois tableaux suivant laissent voir le chemin parcouru, avec ses avancées, reculs et statu quo, par rapport à la feuille de route citoyenne de 2000. Comment envisager le chemin à parcourir maintenant?

Le premier tableau présente ce qui était préconisé dans la proposition de loi citoyenne de 2000 pour faire évoluer le soutien minimal du revenu au Québec et ce qui a été réalisé.

Tableau 6.1. Vers un Québec sans pauvreté
Chemin parcouru et à parcourir en matière de garanties de revenu
par rapport à la proposition de loi citoyenne de 2000

Proposition de loi citoyenne de 2000

Chemin parcouru
et situation en 2018

Ne pas appauvrir le cinquième le plus pauvre de la population et assurer un plancher de revenu non sujet à sanctions à l’aide sociale. La loi de 2002 présuppose l’amélioration des revenus des plus pauvres et vise entre autres à «réduire les inégalités qui peuvent nuire à la cohésion sociale» et à «assurer, à tous les niveaux, la constance et la cohérence des actions». Elle prévoit d’assurer un plancher de revenu non sujet à réductions administratives à l’aide sociale.

De 2002 à 2017, la valeur des prestations d’aide sociale de base a baissé en dollars constants. C’est un recul.

Les obligations et sanctions liées aux parcours vers l’emploi instaurées en 1998 sont abolies à l’aide sociale en 2005 tel que requis par la loi de 2002. C’était un gain.

Automne 2017 : Appauvrissement programmé des plus pauvres avec la réintroduction d’obligations et de sanctions[2] similaires à celles de la loi de 1998 dans le Programme objectif emploi instauré pour les primodemandeur·e·s jugé·e·s aptes au travail. Ceci, malgré deux ans d’avis défavorables de la part d’une grande variété d’acteur·e·s ayant recommandé de s’en tenir aux suppléments prévus, sans les sanctions, dans un contexte de participation volontaire. C’est un recul défaisant une avancée antérieure.

Assurer dans un premier temps la couverture des besoins de base dans les protections sociales de base, dont l’aide sociale, et modifier les normes minimales du travail pour qu’un salaire minimum à temps plein fasse sortir de la pauvreté. La loi de 2002 a comme un de ses buts d’«améliorer la situation économique et sociale des personnes et des familles qui vivent dans la pauvreté et qui sont exclues socialement».

En 2009, le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES), institué par la loi de 2002, a recommandé[3] de viser le seuil de la MPC pour le soutien minimal du revenu, dont l’aide sociale, avec une cible à 80 % de la MPC dans un premier temps, et «que les travailleurs et les travailleuses échappent à la pauvreté», en visant d’abord que 16 heures au salaire minimum permettent l’atteinte du seuil de la MPC. C’était un pas conceptuel dans la direction voulue.

Automne 2017 et hiver 2018 : Aucune mention des cibles du CLPES dans le nouveau plan d’action. Suivant la recommandation du Comité d’experts sur le revenu minimum garanti, le plan plafonne à 55 % du seuil de la MPC (sans motiver ce choix) l’augmentation du revenu annuel assuré par l’aide sociale de base (en 2017, 52,1 % du seuil de la MPC). Le revenu annuel assuré passera ainsi en quatre ans de 9389 $ à 9929 $, ce qui maintiendra les prestations sous le critère de couverture des besoins de base le plus bas envisagé depuis les débuts de l’aide sociale. L’augmentation significative du salaire minimum de 11,25 $ à 12 $ annoncée en janvier 2018 pour le 1er mai 2018 plafonne toutefois celui-ci autour de 50 % du salaire moyen, toujours sans expliquer pourquoi.  À 35 heures par semaine, le revenu annuel après impôt à un tel salaire tournera autour du revenu après impôt nécessaire en moyenne pour atteindre la MPC, sous un critère plausible de sortie de la pauvreté, en supposant que l’emploi est stable. Malgré de petites avancées pour les personnes concernées, ces plafonds dans les garanties de revenu empêchent par définition de tendre progressivement vers un Québec sans pauvreté. C’est une impasse à résoudre.

Été 2018. La publication d’Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté vient ajouter de la confusion autour de cet enjeu en décrétant que la MPC est désormais le seuil officiel de la pauvreté au Canada. Cette décision ne tient pas compte du chemin parcouru au Québec pour distinguer la couverture des besoins de base de la sortie de la pauvreté. C’est une nouvelle impasse à résoudre.

 

En finir avec les catégorisations fondées sur l’aptitude au travail à l’aide sociale, et couvrir les coûts supplémentaires au-delà de la couverture des besoins de base pour les personnes présentant des limitations fonctionnelles. La loi de 2002 ne parle pas des catégorisations à l’aide sociale et aborde les situations de pauvreté dans leur ensemble. Elle mentionne simplement que les actions entreprises doivent viser à «rehausser le revenu accordé aux personnes et aux familles en situation de pauvreté, en tenant compte notamment de leur situation particulière et des ressources dont elles disposent pour couvrir leurs besoins essentiels».

Les catégorisations sont restées essentiellement les mêmes de 2002 à 2017. Il y a eu statu quo.

Automne 2017 : Le nouveau plan d’action augmente les écarts de couverture en fonction des catégorisations dans la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles. Le revenu annuel assuré aux personnes avec contraintes sévères à l’emploi passera en quatre ans de 12 749 $  à 13 385 $ (en dollars de 2017), soit de 70,8 % à 77,6 % du seuil de la MPC. On instaure également, comme mesure phare, un dit «revenu de base» pour les personnes avec contraintes sévères à l’emploi de longue durée (66 mois de prestations dans les derniers 72 mois), qui leur assurera à terme, en 2023, un revenu annuel de 18 029 $ (dollars de 2017) équivalent au seuil de la MPC. Ce montant ne couvrira pas nécessairement les coûts supplémentaires liés aux limitations fonctionnelles. Il ne remplacera pas pour autant les mesures nécessaires pour faciliter l’intégration à l’emploi des personnes le désirant. C’est une avancée substantielle au plan du revenu pour les personnes concernées, qui laisse toutefois les autres catégories de prestataires en plan et installe une impasse à résoudre pour une approche différente.

Le projet de loi 173 vient confirmer et opérationnaliser de nouvelles catégorisations dans la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, avec l’impasse qu’elles créent pour une approche différente.

 

Augmenter les allocations familiales et leur ajouter une composante universelle. Cette attente a été rencontrée au tournant des années 2000 et elle a été bonifiée en 2005 avec l’instauration du Soutien aux enfants. Avec d’autres mesures, dont l’amélioration des prestations fédérales, la couverture des besoins de base des familles avec enfants s’est améliorée. C’est un gain qui dure.

 

Ne plus comptabiliser les pensions alimentaires reçues pour les enfants dans le calcul des prestations et soutiens financiers accordés aux parents qui les reçoivent. La loi de 2002 prévoit d’«d’exclure un montant provenant des revenus de pension alimentaire pour enfants» à l’aide sociale.

Au cours des ans, ce montant a été établi progressivement à 100 $ par mois par enfant à l’aide sociale et à l’aide financière aux études. C’est une petite avancée.

On peut noter que la méthode de calcul du revenu pour la MPC retire du revenu après impôt les montants de pension alimentaire à payer.

Automne 2017 : Rien de particulier à ce sujet. C’est le statu quo.

Les débats autour du projet de loi 173 ont ramené cet enjeu et laissé voir une ouverture de plusieurs membres de la commission parlementaire à cet égard, mais l’amendement présenté par l’opposition n’a pas été intégré à la loi adoptée, toujours pour des raisons évoquées d’incitation à l’emploi, alors que cette question est maintenant réglée dans d’autres provinces canadiennes.

 

Faire évoluer le régime d’aide sociale vers un régime de garanties de revenu non stigmatisant, débattu collectivement et intégré à une fiscalité suffisamment progressive pour qu’il soit viable. Rien dans la loi de 2002.

En 2009, le CCLPES a proposé de mettre en place un régime intégré de soutien du revenu utilisant une voie fiscale non stigmatisante, comme des crédits d’impôt remboursables, pour rencontrer ses cibles de revenu. C’était une avancée conceptuelle.

L’instauration du crédit pour la solidarité en 2010 a ouvert une telle possibilité en réunissant trois crédits d’impôt remboursables et en tenant compte de l’ensemble de la population à faible revenu et même plus. Il y aurait eu moyen d’améliorer ce dispositif, de lui donner d’autres composantes et d’explorer en ce sens pour mieux assurer la couverture des besoins de base d’une façon similaire pour tout le monde, en tenant compte des autres revenus, comme le proposait le CCLPES. Ce type d’approche par crédits remboursables (ou impôt négatif, une des voies possibles pour parler de revenu minimum garanti) aurait eu aussi son intérêt pour tenir compte des coûts supplémentaires occasionnés par certaines limitations fonctionnelles ou besoins particuliers. Par exemple, on aurait pu transformer en crédit remboursable le crédit pour déficience grave et prolongée, présentement limité aux contribuables payant de l’impôt. C’était une opportunité.

Automne 2017 : Ce type de dispositif ne fait pas partie des solutions mentionnées. Le Comité d’experts sur le revenu minimum garanti rend un rapport fondé sur l’incitation à l’emploi et ignorant la couverture des besoins de base. Il écarte la voie d’une garantie fiscalisée et préfère des solutions de supplémentation des revenus de travail. Le nouveau plan d’action accentue la stigmatisation associée à l’aide sociale. Il limite la transformation du soutien du revenu aux personnes avec contraintes sévères à l’emploi de longue durée. C’est une avancée pour ces personnes et une impasse à résoudre pour les autres.

L’adoption du projet de loi 173 vient confirmer et opérationnaliser une transformation sélective vers un meilleur soutien du revenu pour les personnes présentant des contraintes à l’emploi de longue durée, en restant dans le cadre de la Loi sur l’aide aux personnes et aux famille qui maintient une approche stigmatisante pour les autres prestataires.

 

Source : Compilation mise à jour par l’auteure à partir de Labrie, V. (2018). Le projet de loi 173 nous fait-il avancer vers un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde? Mémoire appuyé par l’IRIS à la Commission de l’économie et du travail, Assemblée nationale du Québec.

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La question des inégalités est un sujet fuyant. Comme les vingt dernières années le démontrent, ne pas l’aborder, ou s’en défendre en indiquant qu’on fait déjà mieux que d’autres, contribue à les perpétuer. Aborder cette question dérange. Nous sommes probablement ici devant un grand chantier pour le 21e siècle : confronter nos aspirations à la réalité, apprendre à s’en parler, transformer nos représentations et avancer ensemble vers du bien vivre mieux partagé. Ce deuxième tableau présente un principe d’action mis de l’avant dans la proposition de loi citoyenne de 2000 et le chemin accompli ou perdu depuis dans cette direction.

Tableau 6.2. Vers un Québec riche pour tout le monde.
Chemin parcouru en matière d’objectifs de réduction des inégalités de revenus
par rapport à la proposition de loi citoyenne de 2000

Proposition de loi citoyenne de 2000

Chemin parcouru
et situation en 2018

Faire primer l’amélioration du revenu du cinquième le plus pauvre de la population sur l’amélioration du revenu du cinquième le plus riche. La loi de 2002 vise entre autres à «réduire les inégalités qui peuvent nuire à la cohésion sociale» et à «assurer, à tous les niveaux, la constance et la cohérence des actions».

De 2002 à 2017, plusieurs mesures fiscales ont contribué à concentrer la richesse et augmenter les inégalités de revenus. Pourtant, de 2002 à 2011, l’amélioration du niveau de vie des ménages au-dessus du seuil de la MPC aurait plus que suffi à combler le déficit de couverture des besoins de base des ménages qui n’atteignaient pas ce seuil. On est allé à contresens.

Automne 2017 : Les baisses d’impôt du budget 2017-2018 et de la mise à jour économique de novembre amélioreront de 11,8 G$ d’ici 2023 le revenu disponible des particuliers assez en moyens pour payer de l’impôt (et priveront le gouvernement d’autant de revenus). C’est six fois et demi plus que le 1,8 G$ annoncé dans le plan d’action pour améliorer d’ici 2023 le revenu des personne en situation de pauvreté. De 2017 à 2021, l’amélioration due aux finances publiques des revenus des contribuables les plus riches (revenus de 75 000 $ et plus) sera deux fois plus élevée (533 $ en moyenne par année) que celle des prestataires d’aide sociale les plus pauvres et les plus loin de la couverture de leurs besoins de base (288 $ en moyenne par année). On continue d’aller à contresens.

Source : Compilation mise à jour par l’auteure à partir de Labrie, V. (2018). Le projet de loi 173 nous fait-il avancer vers un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde? Mémoire appuyé par l’IRIS à la Commission de l’économie et du travail, Assemblée nationale du Québec.

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Avancer vers plus d’égalité suppose à son tour de s’admettre davantage dans un «nous» qui comprend tout le monde et s’enrichit de nos diversités. Ce qui suppose de s’apprivoiser, d’apprendre à se faire confiance et de pouvoir compter les un·e·s sur les autres. Notre survie étant reliée à nos contributions et à nos solidarités dans la réalité telle qu’elle est, comment avancer vers de nouveaux équilibres plus inclusifs et respectueux de la richesse et de la dignité de chaque personne? Comment se donner de l’espace pour évoluer, chercher et apprendre ensemble? Comment confronter les rapports de domination et miser de plus en plus sur des rapports de coopération? Comment réaliser cette convivialité du milieu que nous recherchons et échappons si souvent dans nos histoires respectives?

Voilà un beau défi qui croise de toutes sortes de façons le champ d’action du travail social, que ce soit au plan de l’intervention individuelle, familiale et interpersonnelle, de groupe ou de l’organisation communautaire.

Chose certaine, y faire face suppose de requestionner nos hiérarchies de l’avoir, du savoir et du pouvoir. Et d’explorer en direction de règles du jeu bonnes à vivre, qui respectent les individualités tout en générant du commun. Parmi les règles les plus difficiles à confronter, il y a celles qui attachent le revenu et les hiérarchies de l’emploi dans les jeux gagnants-perdants de la main invisible du marché. Comment faire davantage place à des jeux gagnants-gagnants? Comment faire davantage droit aux droits en matière de revenu et d’emploi?

La proposition de loi citoyenne de 2000 comportait plusieurs préconisations à cet égard, dont celle de séparer le soutien du revenu du soutien à l’emploi, à considérer tous les deux comme un droit. On la retrouve dans le troisième tableau.

 

Tableau 6.3. Vers un Québec riche de tout son monde
Chemin parcouru en matière de traitement séparé du droit au revenu et à l’emploi
par rapport à la proposition de loi citoyenne de 2000

Proposition de loi citoyenne de 2000

Chemin parcouru
et situation en 2018

Séparer le soutien du revenu du soutien à l’emploi, à considérer tous les deux comme un droit. La loi de 2002 distingue l’orientation visant à «renforcer le filet de sécurité sociale et économique» de celle qui vise à «favoriser l’accès à l’emploi et valoriser le travail».

Le Régime québécois de soutien du revenu tel que décrit dans la documentation budgétaire 2016-2017 distingue les garanties de revenu minimales des garanties associées à l’emploi comme la Prime au travail. C’est intéressant pour traiter séparément les deux enjeux.

Automne 2017 et hiver 2018 : Omniprésence du discours de l’incitation à l’emploi. Le droit à des mesures d’insertion n’est pas pour autant affirmé. C’est le statu quo.

Source : Compilation mise à jour par l’auteure à partir de Labrie, V. (2018). Le projet de loi 173 nous fait-il avancer vers un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde? Mémoire appuyé par l’IRIS à la Commission de l’économie et du travail, Assemblée nationale du Québec.

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Ce portrait en trois tableaux laisse voir au moins deux traits persistants dans les choix politiques des quinze dernières années en matière d’action de la société et de ses institutions politiques pour «tendre vers un Québec sans pauvreté» :

  • quand l’incitation à l’emploi éclipse la nécessité de s’assurer aussi que chaque personne puisse pourvoir à ses besoins de base et disposer des soutiens nécessaires, les standards de la solidarité collective baissent dans les finances publiques, notamment à l’égard des personnes sans enfant jugées aptes au travail;
  • si on aborde les enjeux relatifs à la pauvreté indépendamment des enjeux relatifs aux inégalités de revenus, on s’expose à des choix politiques à deux poids deux mesures qui favorisent la concentration de la richesse monétaire et la mise à la marge de richesses individuelles, collectives et environnementales qui comptent sans nécessairement pouvoir ou devoir être comptées.

Était-ce inévitable? Non.

Au plan de la richesse monétaire, les moyens sont là. De 2002 à 2011, le revenu disponible après impôt de l’ensemble des ménages aurait permis d’assurer à chaque ménage l’équivalent de deux fois le seuil de la MPC qui lui est attribuable. Il a plutôt servi à augmenter les disparités de niveaux de vie.

Y aurait-il eu moyen de faire autrement? Oui.

De façon assez surprenante plusieurs éléments de la feuille de route citoyenne québécoise de 2000 et des recommandations du Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES) de 2009 ont trouvé des parallèles dans la feuille de route citoyenne et gouvernementale des deux dernières années en Ontario. Ceci dit, celle-ci est maintenant compromise par les orientations et décisions du nouveau gouvernement ontarien.

On ne s’étonnera pas d’un certain consensus de l’action citoyenne de défense des droits sur les paramètres à prendre en considération.  La question est plutôt : qu’est-ce qui amène un gouvernement et une société à s’y engager aussi et de plus en plus?

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B. L’ensemble des aspects à considérer dans le chemin parcouru et à parcourir

Si elle est incontournable, la question du revenu n’est par ailleurs qu’un des aspects à considérer en direction d’un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde.

Comment relier ces diverses dimensions dans une vision globale des transformations à rechercher et opérer?

Voici aussi trois pistes susceptibles de faciliter et d’alimenter une réflexion d’ensemble sur le chemin à parcourir.

La première piste est celle des personnes au centre. Elle s’appuie sur un schéma qui beaucoup servi à la fin des années 1990 dans les animations pour la proposition de loi citoyenne et a conduit à toutes sortes de suggestions concrètes. Elle invite à agrandir l’espace et les marges de manœuvres.

On a tout ce qu’il faut dedans [ce schéma]. La personne est au centre dans son intégrité, avec son potentiel et ses limites, avec son histoire et son avenir, avec sa famille et dans sa société. Elle doit vivre et pour cela elle doit avoir accès à un revenu. Elle fait face à trois types de nécessités: répondre à ses besoins et à ceux des siens, s’intégrer à l’activité humaine (culturelle, sociale, économique) et avoir de l’influence sur sa société comme citoyenNE. Dans cette société, il y a une échelle sociale, des écarts qui se créent et des moyens d’y remédier, comme le pacte social et fiscal, autrement dit les impôts, les taxes et les lois et autres ententes entre nous.

Carrefour de savoirs sur les finances publiques, et Labrie, V. (1998).
Des concepts économiques pour tenir compte du problème de la pauvreté et de l’exclusion.
Québec: Carrefour de pastorale en monde ouvrier. Voir http://archive.capmo.org/Carrefour_finances_publiques_concepts_economiques.pdf.

 

EngrenageEXERCICE 31 : En quoi le travail social peut-il contribuer à agrandir l’espace et les marges de manœuvre nécessaires pour que toute les personnes puissent trouver une place juste et digne dans le pacte social et fiscal et ses règles du jeu?

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La seconde piste vient d’une série d’entrevues réalisée en 2013 pour le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, dix ans après la mise en vigueur de la loi auprès d’acteurs représentant divers secteurs de la société québécoise.

La superposition de ces entrevues a laissé entrevoir cinq chantiers à développer pour le chemin à parcourir :

  • Premier chantier. Confronter les préjugés et maintenir la lutte contre la pauvreté à l’agenda par l’action citoyenne, des mobilisations et des prises de conscience.
  • Second chantier. Corriger les irritants de l’aide sociale et progresser vers une forme de garantie de revenu plus adéquate, plus universelle et plus intégrée à une fiscalité réformée et mieux maîtrisée.
  • Troisième chantier. Améliorer l’équité du marché du travail et ses protections.
  • Quatrième chantier. Suivre un ensemble de conditions de vie en portant attention aux services publics.
  • Cinquième chantier. Repenser le système économique dans une perspective de prospérité plus durable et équitable.

À travers les avancées, les reculs et les statu quo identifiés par les répondant·e·s, il restait beaucoup de chemin à parcourir après le deuxième plan d’action. Il en reste encore beaucoup après le troisième, avec quelques gains, et sur certains aspects, de nouvelles côtes à remonter encore une fois.

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EngrenageEXERCICE 32 :  En quoi le travail social peut-il contribuer aux cinq chantiers aperçus dans le cadre des entrevues sur le chemin parcouru et à parcourir dans le sillage de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale réalisées en 2013 pour le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale?

 

Une troisième piste est fournie par l’anneau de Kate Raworth présenté dans les parties 1 et 3 (aspect 12) de ce dossier. Dans ce modèle, le revenu n’est qu’une partie du plancher social à atteindre et à assurer. On y mentionne aussi l’eau, la nourriture, la santé, l’égalité des sexes, l’équité sociale, l’énergie, les emplois, avoir une voix, la résilience, l’éducation. On pourrait ajouter d’autres éléments à cette liste, comme le logement, le transport et les autres besoins de base, ou l’accès à la justice.

 

Source : Raworth, K. (2012). Un espace sûr et juste pour l’humanité. Oxford: Oxfam International.

EngrenageEXERCICE 33 : Comment situeriez-vous dans le schéma de l’anneau de Kate Raworth les enjeux du chemin à parcourir au Québec vers un espace juste et sûr pour tout le monde? Comment les diverses dimensions vous paraissent-elles se relier les unes aux autres au Québec?

EngrenageEXERCICE 34 : En quoi le travail social peut-il contribuer aux décisions et aux changements de mentalité nécessaires pour assurer un plancher social et un plafond environnnemental qui tiennent la route pour un développement inclusif et durable au Québec?

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C. Garder le cap à plusieurs

L’histoire n’est pas finie. Si beaucoup a été accompli dans notre histoire collective au plan de la justice sociale, beaucoup reste à accomplir en direction d’un bien-vivre mieux partagé. Et comme c’est une aventure collective, avec des avancées, des reculs et des statu quo, aussi bien s’en parler, chercher ensemble, et garder le cap. À plusieurs.

EngrenageEXERCICE 35 : Avec qui êtes-vous, aimeriez-vous être en lien en direction d’un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde?

EngrenageEXERCICE 36 : Quel serait un pas, à la fois nécessaire et réaliste, à accomplir dans les dix prochaines années auquel vous aimeriez contribuer avec d’autres en direction d’un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde?

 

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[1] Cette section reprend en les mettant à jour les compilations réalisées dans les publications suivantes. Labrie, V. (2018). «L’état des garanties de revenu vers un Québec sans pauvreté après l’automne politique 2017». Bulletin de liaison, Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, 42, 3, février 2018, 3-4, 6. Voir http://www.fafmrq.org/wp-content/uploads/2018/02/3PAG_Bul243.pdf . Et Labrie, V. (2018). Le projet de loi 173 nous fait-il avancer vers un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde? Mémoire appuyé par l’IRIS à la Commission de l’économie et du travail, Assemblée nationale du Québec. Voir http://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_137319&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz

[3] Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. (2009). Les cibles d’amélioration du revenu des personnes et des familles, les meilleurs moyens de les atteindre ainsi que le soutien financier minimal. Améliorer le revenu des personnes et des familles… le choix d’un meilleur avenir. Québec : Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

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