Colonialisme, racisation et migration


Dessin de Noah, 11 ans.

 

Contexte historique colonial – global et local

Aux 19e et 20e siècles, les puissances coloniales européennes envahissent l’Asie, l’Afrique et les Amériques, instaurant des systèmes de normes culturelles, économiques et sociales envers les peuples Indigènes. L’imposition des normes de genre a été codifiée par les institutions politiques, religieuses et éducatives et la non-binarité de genre a été jugée contre nature et déviante. L’expression du genre « hors norme » a été criminalisée (par exemple, la Loi contre le vagabondage en Colombie Britannique dans les années 1900 afin de criminaliser le « travestissement » (Shah, 2011), l’acte des tribus criminelles mis en vigueur par l’état colonial britannique en Inde en 1871 (Gupta, 2008)). À la suite de l’affranchissement des colonies, certains pays asiatiques et africains ont gardé ces lois coloniales, puis les ont intégrées comme faisant partie des normes culturelles du pays (Alexander, 2005).

Avant la colonisation de l’île de la Tortue (le Canada), chaque communauté avait des conceptualisations spécifiques du genre; ainsi, les personnes du genre non-conforme avaient souvent un rôle social comme étant des médiatrices, des enseignantes ou des guides spirituelles (Meyer-Cook et Labelle, 2004). La colonisation anglaise et française au Québec instaurait des normes racistes, patriarcales, hétéronormatives et cisnormatives envers les colons, les esclaves, les travailleurs sous contrat et les autochtones. L’imposition des lois et des institutions coloniales et religieuses (par exemple les pensionnats autochtones, etc.) a criminalisé la pluralité des genres chez les Premières Nations.

Au cours des années 1990, le terme bispirituel a émergé chez les personnes autochtones qui subissaient la transphobie, l’homophobie et la biphobie au sein de leur communauté. Une personne bispirituelle, au sein de diverses Premières Nations, serait habitée par les esprits d’un homme et d’une femme. Pourtant, ce terme est également une identité politique par et pour les personnes autochtones trans, du genre non-conforme et LGBQ (lesbiennes, gaies, bisexuelles, queer) afin d’affirmer leur rôle social au sein de leur communauté avant le colonialisme (Brotman & Ryan, 2008; Meyer Cook et Labelle, 2004).

Il faut également reconnaître les histoires coloniales des personnes noires et asiatiques au Québec comme étant des esclaves et des travailleurs sous contrat. Depuis le 17e siècle, l’esclavage a été promu par les colons français et anglais et depuis le 19e siècle, des travailleurs sous contrat venant de Chine et de l’Inde ont migré ici. Les personnes noires et asiatiques subissaient du racisme à travers des lois et des institutions coloniales qui ont promu la ségrégation raciale et l’exclusion sociale. Bien qu’il y ait un nombre grandissant des migrants venant des pays du sud, il y a également des personnes racisées, notamment noires et asiatiques, enracinées au Québec depuis 200 à 400 ans.

L’identité du genre, le racisme et la racisation

Au sein des sociétés occidentales, la classification raciale basée sur la suprématie blanche a été implantée à travers des lois, des politiques et des pratiques coloniales (Lee et Ferrer, 2014). Alors, les jeunes racisés, autochtones et migrants doivent faire face au racisme, au racisme systémique et au processus de racisation. De ce fait, la manière dont ces jeunes gèrent leurs familles, amis et communautés, par rapport à leur identité de genre, est également influencée par leur appartenance raciale et ethnique. De plus, leurs transitions sociales, légales et médicales, liées au genre, sont influencées par le racisme et le colonialisme.

Préconiser une approche intersectionnelle qui tienne compte des oppressions multiples

L’identité de genre interagit avec le fait d’être une personne racisée, autochtone ou migrante. L’entrecroisement des systèmes d’oppression entraîne des conséquences spécifiques et nuisibles. Les personnes racisées et autochtones, y compris les jeunes trans, sont surreprésentées parmi la population la plus défavorisée. La pauvreté chez les jeunes trans racisés, autochtones et migrants pourrait être liée au profilage racial ainsi qu’à la transphobie, créant une panoplie d’effets nuisibles. Un jeune trans noir pourrait, par exemple, faire face au profilage racial par la police en raison de sa couleur de peau, mais en même temps être à risque de transphobie ou de  transmisogynie (vécue par les femmes trans ou autres personnes trans assignées homme à la naissance). Les oppressions vécues ne sont souvent pas départagées, entraînant de multiples barrières en lien avec l’accès au logement, à l’emploi, aux soins de la santé et aux services sociaux, etc.

Il y a alors un risque accru de précarité financière chez les jeunes trans racisés, autochtones ou migrants, ce qui favorise leur participation à l’économie informelle, par exemple, le travail du sexe. Les femmes trans racisées, autochtones ou migrantes qui se prostituent sont notamment vulnérables au profilage racial et genré par la police ainsi qu’à la violence par la société au sens large.

La citoyenneté, le statut de migrant et les réalités des jeunes trans migrants au Québec

  • Le Québec demeure la seule province canadienne qui exige la citoyenneté aux jeunes et aux adultes trans voulant modifier leur nom et mention de sexe. Ainsi, la non reconnaissance légale du nom et du genre des personnes trans migrantes perdure jusqu’à l’obtention de la citoyenneté canadienne.
  • Avant l’adoption de la Loi 103 (Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres), plusieurs militants et militantes ont fait des pressions auprès du gouvernement afin d’inclure les personnes trans migrantes à cette loi. Pourtant, le gouvernement a décidé de ne pas retirer la condition de citoyenneté, ce qui aurait permis aux personnes migrantes de pouvoir modifier leur nom et mention de sexe. Bien que le gouvernement ait dit publiquement à plusieurs reprises que des mesures seraient mises en place afin de permettre aux personnes migrantes (y compris les jeunes) de modifier leur nom et mention de sexe, la situation demeure inchangée.

Les jeunes trans migrants peuvent donc passer plus de sept ans sans avoir de documents qui reflètent leur identité et leur expression de genre. Cependant, les jeunes trans pourraient modifier leur nom et la mention de sexe sur leur carte de résidence permanence. Pour ce faire, il faut bien comprendre les politiques provinciales et fédérales concernant le changement de la mention de sexe et du nom. Des intervenants et des intervenantes au sein d’organismes tels ASTTeQ, AGIR et Centre de lutte contre l’oppression des genres ont déjà accompagné des personnes trans migrantes dans leurs démarches pour modifier leur nom et mention de sexe sur leur carte de résidence permanence.

Le statut migratoire des enfants est ainsi lié à celui de ses parents. Il est possible qu’un parent puisse avoir une mauvaise réaction au coming out. Dans le pire scénario, un parent qui a parrainé son enfant à migrer au Québec pourrait décider de le retourner dans son pays d’origine. Il est aussi possible que des familles ayant la double citoyenneté (canadienne, pays d’origine) puissent également retourner leurs enfants trans dans leur pays d’origine.

Citations

 

En lien avec les difficultés ou obstacles auxquelles les jeunes trans font face:

« Je dirais, l’homophobie et juste la transphobie en général… parce qu’un homme que je ne connais pas aime m’appeler  » tapette « . Je ne sais pas pourquoi mais c’est constant, tu sais, mais je pense aussi que les gens sont mêlés – sont fâchés de ne pas pouvoir identifier ma race alors ça, ça a un certain effet… Je sens ça comme du racisme. »

– Sam, 21 ans, personne transmasculine.

« Je veux déménager et je suis un peu stressé par ce qui va se passer, car je voudrais commencer les hormones en même temps et j’ai peur que ma voix baisse… puis je vais louer un appartement et je dirai  » Je m’appelle John « , puis fournir mes papiers (d’identité) et c’est alors mon nom légal et (la mention de sexe)  » femme « … Alors, j’ai peur que le propriétaire soit transphobe… et (qu’il) m’expulse. »

– Dan, 20 ans, personne transmasculine.

En lien avec les réalités des jeunes trans migrants au Québec:

« J’existe nulle part. Parce que mon prénom usuel n’est pas reconnu. Mon marqueur de genre n’est pas reconnu. Donc, ce qui fait que je n’existe juste pas, et qu’à chaque fois, je suis obligé de me justifier. Je n’existe pas auprès du fédéral. Je n’existe pas auprès du Québec. Je n’existe pas auprès de mon université. »

– Gabriel, 19 ans, personne trans masculine.

« Je pense qu’on est chanceux pour les assurances… Il y a plein de barrières si tu veux que les chirurgies soient couvertes, si tu veux que tes hormones soient couvertes [par les assurances publiques] mais je veux insister sur le fait que nous sommes chanceux d’être couverts… C’est trop long, ça prend 2, 3 ans, la liste d’attente… Les listes d’attente prennent des années, mais si tu es une personne immigrante, si tu n’as pas ta citoyenneté, c’est impossible en fait. »

– Dan, 20 ans, personne transmasculine.

 

LumièrePistes d’intervention

  • Favoriser une analyse intersectionnelle afin de mieux saisir les réalités des jeunes trans racisés, autochtones et migrants
    • Avoir conscience de multiples barrières institutionnelles et de facteurs de risque liés au fait d’être une personne migrante ou racisée, ainsi que de l’interaction potentielle entre le genre et être une personne racisée.
  • Favoriser l’auto-réflexion critique chez les travailleurs sociaux
    • Avoir conscience de ses propres privilèges et ne pas tenter d’imposer sa propre conception [ex : blanche, occidentale, binaire] du genre.
  • Tenir compte du trauma historique et intergénérationnel colonial
    • À travers les générations, le colonialisme a perturbé les pratiques autochtones en lien avec la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Plusieurs jeunes trans autochtones et bispirituels ont des parents ou des grands-parents qui ont subi les pensionnats indiens. Ces jeunes doivent donc faire face au trauma colonial intergénérationnel (Wesley-Esuqimaux, 2007).
  • Comprendre les liens entre les politiques fédérales et provinciales qui touchent les jeunes trans racisés et migrants, notamment par rapport aux papiers d’identité (RAMQ, Résidence permanente, Permis de travail, etc.). 
  • Comprendre le lien entre le statut de migrant d’un jeune et ses parents. Tenir compte des liens juridiques entre un jeune et ses parents, lorsque vous accompagnez un jeune dans une transition sociale. Il est donc important d’évaluer les risques sur le plan de l’immigration et de la communauté lorsqu’un jeune racisé, autochtone ou migrant, fait un coming out afin qu’il puisse prendre une décision éclairée sur ses options.  
  • Ne pas poser de jugement sur les stratégies de survie utilisées par ces jeunes.
  • Respecter l’autodétermination de la personne et défendre le droit pour l’accès aux changements de nom et de mention de sexe des personnes trans migrantes. Voir la campagne par et pour les personnes trans migrantes organisées par l’organisme AGIR.

Des formations sont en développement. Par exemple, au cours de l’automne 2018 et l’hiver 2019, le CIUSSS-Centre-Ouest-de-l’île-de-Montréal et le Centre SHERPA vont implanter une formation sur les réalités des personnes LGBTQ racisées et migrantes. La formation sera accessible à l’ensemble des intervenants et intervenantes du réseau de la santé et des services sociaux au Québec.

Références

  • Alexander, M. (2005). Pedagogies of Crossing: Meditations on Feminism, Sexual Politics, Memory and the Sacred. Londres : Duke University Press.
  • Brotman, S. et Ryan, B. (2008). Le cas des personnes bispirituelles au Canada. Dans S. Brotman et J. J. Levy. (Eds). Homosexualités: variations linguistiques et culturelles. (p.419 – 438). Québec: Presses de l’Université du Québec, Coll. Santé et Société.
  • Gupta, A. (2008). This alien legacy: The origins of “sodomy” laws in British Colonialism. Human Rights Watch. New York: New York. Retrieved from: http://www.hrw.org/reports/2008/12/17/alien-legacy-0.
  • Lee, E.O. & Ferrer, I. (2014). Examining Social Work as a Canadian Settler Colonial Project: Colonial Continuities of Circles of Reform, Civilization, and In/visibility. Journal of Critical Anti-Oppressive Social Inquiry, 1(1).
  • Meyer-Cook, F., & Labelle, D. (2004). Namaji: Two-spirit organizing in Montreal, Canada. Journal of Gay and Lesbian Social Services, 16(1), 29–51. doi: 10.1300/J041v16n01_02
  • Shah, N. (2011). Stranger intimacy: Contesting race, sexuality and the law in the north American west. Berkeley: University of California Press.
  • Wesley-Esquimaux, C. (2007). Historic Trauma. International Working Group for Indigenous Affairs, Copenhagen www.iwgia.org, on Social Suffering, vol.4/07

 

Partager