Au-delà des obligations, des leviers de changement

Publié le | dans la catégorie Pratiques professionnelles

Ce texte porte sur les tensions que plusieurs d’entre vous vivent en tant que travailleurs sociaux du réseau de santé et de services sociaux. Outre la loyauté envers l’employeur et les obligations professionnelles, agir en faveur des droits des usagers constitue une tension supplémentaire pour les travailleurs sociaux. Puisque le Code de déontologie de notre ordre professionnel définit le client comme une personne, un groupe, une collectivité ou un organisme bénéficiant de nos services, quelles sont nos obligations professionnelles à l’égard du client dans le contexte du travail social et du cadre légal québécois? Quelle place doit-on accorder au rôle d’advocacy? Comment faire de nos obligations légales et déontologiques des leviers cliniques, des outils de changement social?

 

Nos devoirs et obligations comme travailleurs sociaux

En tant que travailleurs sociaux, nous avons des devoirs et des obligations envers le public, la clientèle et notre profession. Nous devons «préserver notre indépendance professionnelle afin d’agir avant tout dans l’intérêt supérieur des personnes à qui nous offrons des services, en regard de nos compétences et de notre jugement professionnel». [1] Ces articles de notre Code de déontologie énumèrent les obligations suivantes :

3.01.03. Le travailleur social s’abstient d’exercer dans des conditions susceptibles de compromettre la qualité de ses services. Lorsque des pressions d’ordre pécuniaire, institutionnel ou politique nuisent à l’exercice de sa profession, il doit indiquer clairement à son client les conséquences qui peuvent en découler.

3.05.01. Le travailleur social subordonne son intérêt personnel à celui de son client.

3.05.02. Le travailleur social ignore toute intervention d’un tiers qui pourrait influer sur l’exécution de ses devoirs professionnels au préjudice de son client.

3.05.03. Le travailleur social sauvegarde en tout temps son indépendance professionnelle et évite toute situation où il serait en conflit d’intérêts. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le travailleur social :

a) est en conflit d’intérêts, lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci sont défavorablement affectés;

b) n’est pas indépendant comme conseiller pour un service donné s’il y trouve un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel.

3.05.04. Quand le travailleur social réalise qu’il se trouve dans une situation de conflit d’intérêts ou qu’il risque de s’y trouver, il doit en informer son client et lui demander s’il l’autorise à continuer son mandat.

 

Les droits des usagers

Ces usagers sont les clients, les patients, les résidents ainsi que leurs proches, auprès desquels les travailleurs sociaux interviennent dans le Réseau. Les clients sont des partenaires qui collaborent à l’évaluation du fonctionnement social et participent à l’élaboration et à la réalisation du plan d’intervention. En tant que travailleurs sociaux, nous intervenons en conformité avec la Chartre québécoise des droits et libertés de la personne, le Code civil du Québec, certaines lois et en respectant les droits des usagers prévus par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS). Par ailleurs, les établissements du Réseau sont tenus de répondre aux articles de la LSSSS, dont ceux témoignant des droits des usagers.

De plus, nous agissons conformément aux obligations professionnelles dont font partie, entre autres, le Code des professions, le Code de déontologie, les normes de pratiques professionnelles ainsi que le règlement sur la tenue des dossiers. Ces documents regroupent des obligations cohérentes avec les droits des usagers que le législateur a inscrits dans la LSSSS.

 

À la lumière du contenu présenté sur le site du Regroupement provincial des comités des usagers, voici un condensé des droits des usagers selon la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS)

 

  • Le droit à l’information sur sa situation, les interventions possibles, les services disponibles et leurs modalités d’accès.
  • Le droit aux services appropriés au plan scientifique, humain et social de manière continue, personnalisée et sécuritaire.
  •  Le droit de choisir le professionnel et l’établissement (CISSS, CIUSSS, etc.);
  • Le droit de recevoir les soins d’urgence nécessaires et appropriés lorsque la vie ou l’intégrité est en danger.
  • Le droit de consentir à des soins ou de les refuser de façon libre et éclairée.
  • Le droit de participer aux décisions, à l’élaboration, la réalisation et la révision du plan d’intervention ou de plan de services individualisés (PSI) et intersectoriels (PSII).
  • Le droit d’être accompagné, assisté ou d’être représenté au cours du processus de demande d’aide ou d’obtention de services.
  • Le droit à l’hébergement jusqu’à ce que son état de santé lui permette un retour à domicile, ou qu’une place dans un autre établissement ou dans l’une de ses ressources intermédiaires ou de type familial soit possible, et ce, même s’il a reçu son congé médical. Certaines conditions limitent le maintien dans l’établissement afin d’assurer l’accessibilité équitable aux ressources.
  • Le droit de recevoir certains services en langue anglaise dépendamment de chacun des établissements.
  • Le droit d’accès à son dossier, de façon diligente, si l’usager a 14 ans et plus. Le droit d’être assisté d’un professionnel qualifié afin de comprendre l’information ou de consentir à la transmettre ou à transférer une copie de son dossier. Le personnel en place peut refuser momentanément l’accès lorsqu’il y a une évaluation que cela pourrait causer un préjudice grave à la santé de l’usager. Sur recommandation d’un médecin, la date de communication du dossier est déterminée.
  • Le droit à la confidentialité de son dossier d’usager. L’article 19.0.1 de la LSSSS  énonce qu’un renseignement contenu au dossier d’un usager peut être communiqué à certaines personnes en vue de prévenir un acte de violence lorsqu’il existe un motif raisonnable et un sentiment d’urgence concernant un risque sérieux de mort ou de blessures graves menaçant l’usager, une autre personne ou un groupe de personnes identifiable.
  • Le droit de porter plainte en cas d’insatisfaction entourant les services reçus, ceux qu’il aurait dû recevoir ou qu’il reçoit.

 

Que faire pour assurer le respect des droits des usagers?

Il arrive que vous soyez pressés de poser des gestes qui vous semblent contraires à vos obligations professionnelles, ou encore, d’intervenir d’une façon qui serait éloignée, à première vue du moins, du respect des droits des usagers. Que faire lorsque les attentes à l’égard de vos interventions semblent discutables ou en dissonance avec les droits des usagers? Dans un premier temps, pourquoi ne pas aviser votre supérieur immédiat «de toute situation ne vous permettant pas d’exercer votre profession dans le respect des normes professionnelles et des règles déontologiques dans l’intérêt de la population? [2]»  Lorsque vous rencontrez des difficultés à effectuer le mandat reçu, demandez dans un premier temps des consignes écrites. Par ailleurs, favoriser une approche réflexive et un dialogue avec le supérieur autour des valeurs en présence ou discuter de manière franche et ouverte avec le superviseur ou un conseiller clinique pourrait aussi permettre de prendre du recul et de créer la distance ainsi que la neutralité bienveillante nécessaire pour aider à la prise de décisions justes, équitables et éclairées, avec l’appui des personnes en autorité.

En second lieu, le conseil multidisciplinaire de l’établissement peut émettre un avis éclairant ou former un comité de pairs pour développer une position pouvant mener à des recommandations concernant les moyens à prendre pour améliorer la qualité ou l’organisation des services et les compétences du personnel, notamment les travailleurs sociaux. Le comité d’éthique clinique d’un établissement, saisi de la situation de conflits de valeurs en présence, pourrait accompagner la réflexion sur la situation vécue par les travailleurs sociaux ou un groupe d’intervenants. Vous pouvez également assister vos clients dans leur droit de porter plainte auprès du commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l’établissement et vous pouvez de la même façon signaler vous-mêmes la situation au commissaire, qui détient le pouvoir d’intervenir et de recommander des mesures d’amélioration de la qualité des services, s’il le juge approprié et nécessaire au terme de son analyse.

Mais qu’en est-il des signalements à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CPDJ)? Au Protecteur du citoyen? Que dire des situations dans lesquelles les travailleurs sociaux peuvent s’adresser à ces instances suivant leur évaluation du contexte et leur jugement clinique et professionnel? La CPDJ exerce un rôle de surveillance et de promotion des droits de la jeunesse et en ce sens reçoit les demandes d’intervention concernant les services de tout établissement, organisme ou personne chargés de veiller au respect des droits des enfants et des jeunes. De son côté, le Protecteur du citoyen reçoit des informations concernant des gestes posés (ou sur le point de l’être) et considérés comme étant des actes répréhensibles au sens de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics[3]. Il peut s’agir de manquements graves aux normes d’éthique et de déontologie, d’actes ou d’omissions qui portent ou risquent de porter gravement atteinte à la santé ou à la sécurité d’une personne.

Ultimement, les travailleurs sociaux sont les premiers responsables de la qualité de leur pratique et demeurent imputables à l’égard des actes qu’ils posent et des décisions professionnelles qu’ils prennent. Notre code de déontologie nous renvoie à nos obligations envers le public :

2.01. Dans l’exercice de ses activités, le travailleur social tient compte des normes professionnelles généralement reconnues en service social. Il tient compte aussi, notamment, de l’ensemble des conséquences prévisibles de son activité professionnelle non seulement sur le client mais aussi sur la société.

2.02. Le travailleur social favorise et appuie toute mesure susceptible d’améliorer la qualité et l’accessibilité des services professionnels en service social.

2.03. Le travailleur social, reconnaissant comme un objectif important à sa profession l’information et l’éducation du public en matière de service social, pose les gestes qu’il juge appropriés en fonction de cet objectif.

 

Des obligations, mais aussi des opportunités

Toutefois, ces obligations n’ont pas qu’un caractère contraignant; elles ont également pour effet de favoriser et d’encourager les travailleurs sociaux à questionner, sur un horizon plus large, l’aspect collectif, systémique et structurel de l’organisation actuelle des services publics (la privatisation de certains services et l’allocation des services en santé physique au détriment des services sociaux, etc.) et, sur un plan plus rapproché, sur les conditions de pratique qui pourraient interférer sur les droits des usagers.

 

* Un texte de la Direction du développement professionnel.

 


À lire également : Comment dénouer les conflits de loyauté?

Nous vous suggérons fortement de lire également, sur ce même sujet, un texte rédigé par le syndic adjoint de l’Ordre, Cristian Gagnon, doit voici un extrait : «Le professionnel salarié s’engage vis-à-vis de son employeur à fournir un travail conforme à ses obligations professionnelles. S’il a l’impression que des directives entrent en contradiction avec cet engagement, il doit chercher un moyen de respecter à la fois les unes et les autres. (…) En agissant ainsi, le professionnel salarié «obéit» à la fois à l’Ordre et à son employeur et demeure fidèle aux valeurs qu’il incarne. Quoique déchirant, ce conflit de loyauté n’existe au fond qu’en apparence : en adoptant la solution proposée dans ce texte, le professionnel salarié demeure fidèle autant à son client, à son employeur et à son ordre… qu’à lui-même».

 


[3] Voir la liste des organismes visés sur le site du Protecteur du citoyen www.protecteurducitoyen.qc.ca