Le travail social et les questions politico-économico-socio-environnementales

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Est-ce que le travail social a un mot à dire dans les questions environnementales, y possède-t-il une légitimité de parole? Ana Lucia Maldonado Gonzalez, dans «Que peut faire le travail social en environnement au Québec» (Le sociographe, 2009, no. 29) l’affirme et montre comment sa pertinence s’exprime dans cette sphère. Elle rappelle «qu’un problème social existe lorsqu’il est perçu comme étant important par les personnes concernées et qu’il suscite une frustration ou un mécontentement suffisamment intense pour les amener à se mobiliser en vue de trouver des solutions» (cf. De Robertis et Pascal, 1987). De là, à constater que les problèmes environnementaux répondent à cette définition.

Le travail social va nécessairement intensifier ses actions en ce domaine. L’agence de Santé publique en France recense 48 000 décès prématurés par année liés à la pollution atmosphérique (“Le Figaro”, 2016, 06,21). Ceci, sans compter ses effets sur les maladies neurodégénératives, soit une estimation de 7 700 morts prématurées au Canada en 2015 et un quart de la mortalité et des maladies dans le monde selon l’ONU. La pollution tue et rend malade, voilà un fait qu’on ne conteste plus. Ici, les actions civiles et citoyennes du travailleur social, qui visent à l’amélioration des conditions de vie et de santé, s’accomplissement tant dans ses mandats quotidiens que dans les événements exceptionnels et tragiques qui fragilisent les collectivités. Dans le spectre de ses interventions, ses rôles de militant (mouvements sociaux) et de prestataire de services (agent régulateur), placés souvent en opposition, se rejoignent plus que jamais en regard des risques sociaux actuels.

 

La collapsologie, une théorie de l’effondrement de la civilisation industrielle

En Europe, ces risques sont abordés en tant que questions politico-économico-socio-environnementales et de plus en plus, sous le regard de la théorie de l’effondrement. Les auteurs Pablo Sevigne et Raphaël Stevens dans “Comment tout peut s’effondrer” Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (2015) », sont reconnus étant comme les porteurs de cette approche holistique. Celle-ci n’est pas tout à fait nouvelle si on se réfère aux travaux du Club de Rome (1968) et du rapport de Dennis Meadows (1972) qui signalait déjà les risques d’une croissance sans limites. Toutefois, avec la dégradation accélérée de l’environnement, elle revient en force. Servigne et Stevens qui ont inventé ce néologisme qu’est la «collapsologie» présentent cette méthode d’analyse comme transdisciplinaire et systémique. Basée sur les études prospectives, elle parle des crises à venir et comment parvenir à les éviter et/ou les affronter, mais pour plusieurs, il est déjà tard, «minuit moins une».

 

Le travail social face aux états d’urgence

Depuis les dernières décennies, ces crises politico-économico-socio-environnementales, qui surgissent quotidiennement sur nos écrans, ne cessent de se multiplier. Elles touchent tous les États du monde et nous n’y échappons pas. Chaque fois qu’il se produit un cataclysme, un désastre, un drame populationnel ou un risque de pandémie, on interpelle le travail social à œuvrer de concert avec les organisateurs communautaires et représentants médicaux et civils. Au Québec, on l’a déjà assigné aux cellules de vaccination H1N1 et aux équipes de support suite au tremblement de terre qui a secoué Haïti en 2010.

On sollicite son aide dans les tragédies plus aléatoires (ex. : accident ferroviaire de Lac-Mégantic) et récurrentes (ex. : inondations, verglas) et il s’est intégré aux équipes d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile.

Est-il prêt à assumer des défis et tâches qui présenteraient un niveau de complexité encore plus élevé? Certes, des mesures d’urgence ont été développées et identifiées dans les établissements publics et de santé notamment en cas d’incendie et d’incidents industriels. Il existe une Loi et une politique au Québec de la sécurité civile (2014-2024) afin que la société québécoise devienne plus résiliente face aux catastrophes.

On tient annuellement des forums en sécurité civile. On a mis sur pied des équipes d’interventions de crise en santé mentale. On avise les personnes vulnérables des chaleurs accablantes et on les informe des moyens accessibles pour en réduire les impacts. Il existe même une journée internationale de la protection civile (1er mars 2020), mais est-ce suffisant?

Le travailleur social, encore trop peu informé au sujet de ces politiques gouvernementales et des pratiques en situation d’urgence, doit accroître ses compétences et connaissances en ce domaine. Et les institutions dans lesquelles il évolue, de reconnaître davantage que ces «formes d’effondrement» qui, régulièrement, se retrouvent dans les émissions spéciales et en première page des journaux européens, nous concernent. Sans oublier, les attaques terroristes, qui risquent aussi de nous atteindre.

 

Mal de tête, mal de terre

L’effondrement, tel que défini par Pablo Servigne, ne relève plus de la fabulation quand on découvre les chiffres sur le déclin massif de la biodiversité. Plus 75 % des insectes ont disparu en Allemagne depuis 1989 et uniquement en Amérique du Nord, la population d’oiseaux a décliné de trois milliards depuis les années 70. L’accroissement des inégalités atteint désormais des niveaux insurpassés entre les nantis et les pauvres. La richesse des milliardaires s’est accrue chaque jour de 2,5 milliards de dollars en 2018, alors que plus la moitié la plus pauvre de l’humanité perdait 500 millions de dollars à chaque 24 heures» (Le fossé se creuse entre riches et pauvres, rapport d’Oxfam sur les inégalités dans le monde », 21 janvier 2019). Le capital («thèse») et l’environnement («l’antithèse») apparaissent pour les collapsologues, irrémédiablement liés.

Certains adversaires de cette vision de l’avenir jugée trop pessimiste, comme les climatosceptiques, s’opposent à cette approche proclamant un hypothétique effondrement de la civilisation industrielle. Ceux-ci contestent les dangers liés au réchauffement climatique et à sa dangerosité imminente. Ils continuent de militer pour un renouveau du capitalisme et la poursuite d’une croissance continue tous azimuts (« le technocapital »), en invoquant la protection et le développement de l’emploi.

Au contraire, les collapsologues prédisent que cet effondrement déjà en marche est inévitable si on ne change pas de paradigme de vie et de modèle de développement.

Pour Pablo Servigne, qui partage les réflexions du sociologue et philosophe Edgar Morin, seul le « NOUS » préservera la planète bleue des périls qui la menacent.

« L’enjeu, aujourd’hui, est de s’accorder sur un récit (ou plusieurs), et de le coconstruire ensemble. Il faut arriver à faire une “communauté de destin” (dans le “Monde”, 14 décembre 2018, “Il est possible que nos sociétés se dégradent beaucoup plus rapidement que les anciennes civilisations”). Pour le chercheur français indépendant, on doit précisément élaborer une politique de l’effondrement pour mieux affronter les transitions qui s’imposeront.

Le travailleur social ne pourra pas se tenir longtemps à l’écart de ces enjeux “dantesques” s’il veut contribuer à la prévention de ces crises qui risquent de se produire. Ses interventions devront dépasser l’épisode de services et l’éphémère puisque la santé physique et mentale des personnes qu’il accompagne relève d’un processus évolutif qui se situe au cœur de sa raison d’être. La pollution, elle-même, constitue désormais un problème pour lequel il ne peut pas fermer les yeux. De plus en plus interpellé par les questions politico-économico-socio-environnementales deviendra-t-il un des “derniers défenseurs d’une éthique du social et de l’humain” !