Qui profite de la réforme en santé?

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Présent lors du Grand Débat ISS: qui profite de la réforme en santé? Bilan et perspectives citoyennes initié par l’Institut Santé et Société de l’Université du Québec à Montréal, le 28 janvier dernier, l’Ordre y est allé de ses observations, largement appuyées sur le vécu de ses membres, sur le terrain.

« À ce jour, nous observons que la grande majorité des travailleurs sociaux, tant praticiens que gestionnaires, vivent très difficilement la réforme et n’estiment pas que des améliorations pour la population en résultent. »

C’est avec ce constat qu’Alain Hébert, T.S., chargé d’affaires professionnelles à la direction du développement professionnel de l’Ordre a ouvert sa présentation. Pour l’occasion, M. Hébert était accompagné de sa collègue Marie-Lyne Roc, T.S., également chargée d’affaires professionnelles à l’Ordre, ainsi que de Geneviève Cloutier, T.S, courtière de connaissances.

Voici, en substance, l’essentiel des propos tenus par M. Hébert devant les quelque 150 participants à l’activité.

La Réforme, deux ans plus tard

Après seulement deux ans d’implantation de la réforme en santé et services sociaux, nous souhaitons demeurer prudents dans les conclusions qu’il est possible de tirer puisque nous ne possédons, pour le moment, que des données empiriques plutôt qu’issues de recherches. Les informations que nous avons, cependant, proviennent de plusieurs sources et elles convergent fortement vers un certain nombre de constats qui tendent à confirmer ce que nous anticipions au moment de l’adoption du projet de loi 10 (mémoire OTSTCFQ, PL10).

Les travailleurs sociaux éprouvent de plus en plus de difficulté à accomplir adéquatement leurs activités professionnelles en déployant l’ensemble de leurs compétences et conformément à la philosophie du travail social, en raison des contraintes que la réforme a accentuées ou fait émerger. Nous pensons ici aux charges de cas de plus en plus lourdes, aux pressions accrues pour une performance mesurée quantitativement, à la standardisation de plus en plus prononcée des pratiques. Ils font souvent face à des conflits de loyauté résultant de tensions entre certaines exigences administratives, leurs obligations professionnelles et leur désir d’intervenir adéquatement auprès des personnes, dans un contexte de ressources insuffisantes. Nous observons en effet une poursuite de l’effritement des services sociaux généraux publics offerts à la population, une orientation vers le curatif au détriment de la prévention-promotion ainsi qu’une primauté accordée à la mission santé par rapport au social en plus d’une perte en terme de lieux pour la participation citoyenne.

Accroissement de la bureaucratie, éloignement des services, etc.

La réforme a entraîné des bouleversements structurels et administratifs majeurs dans les établissements. Dans plusieurs milieux, les changements se vivent sans que les travailleurs sociaux y soient vraiment associés, selon des orientations imposées et indiscutables. On note par ailleurs :

  • un accroissement de la bureaucratie;
  • un éloignement des services par rapport à la communauté;
  • une perte d’expertise au niveau de la gestion publique et de l’encadrement des services sociaux;
  • un redéploiement du travail intersectoriel rendu plus complexe dans les communautés en raison de la fusion des établissements. La « délocalisation » des T.S. dans les GMF qui a cours actuellement illustre bien ces constats ainsi que la présence de trois logiques.

Médicalisation, compressions, privatisation

Ces trois logiques, déjà à l’œuvre avant la réforme, la traversent de manière encore plus prégnante maintenant :

  • la logique de médicalisation;
  • la logique de compressions budgétaires;
  • la logique de privatisation.

Ces logiques s’éloignent d’une perspective du bien-être social et de l’action sur les déterminants sociaux de la santé soutenue par des politiques publiques plus structurantes. En témoigne, par exemple, l’adoption récente du PL 70 qui vient fragiliser davantage la situation socioéconomique de personnes ne parvenant déjà pas à couvrir leurs besoins. Derrière ces logiques, on trouve la pénétration toujours plus grande de la nouvelle gestion publique à l’intérieur du réseau, un rétrécissement du rôle de l’État au niveau de la santé et des services sociaux et le scientisme dans la planification et l’organisation des services.

Une réforme en rupture avec les orientations présentes à la création du Système

Même si nous avons également connaissance que plusieurs initiatives et projets réalisés dans les établissements et les communautés sont très intéressants, de manière générale, toutefois, la tendance observée ne nous permet pas de conclure, pour le moment, à un meilleur accès, une plus grande continuité et plus grande qualité des services sociaux pour la population. Il faudra cependant attendre les conclusions des recherches des prochaines années pour mieux apprécier l’impact de cette réforme qui s’inscrit jusqu’à un certain point en rupture avec les orientations ayant présidé à la création du système de santé et de services sociaux public au début des années 1970.

Mais en attendant, la délibération publique est non seulement possible, mais souhaitable et légitime dans une perspective démocratique : « Est-ce vraiment ce qu’on veut comme système de santé et de services sociaux? »